En quête d'une coalition de gouvernement

En quête d'une coalition de gouvernement

8 janvier 2016

Le 20 décembre, deux jeunes partis ont changé le visage politique de l’Espagne

Un tremblement de terre politique a ébranlé la société espagnole le 20 décembre dernier. Ce jour-là, 25 millions d’électeurs se sont rendus aux urnes. Près de 9 millions d’entre eux avaient décidé de rebrasser les cartes en votant pour deux jeunes partis qui n’existaient même pas en janvier 2014 : Podemos et Ciudadanos. Depuis plus de 30 ans, le bipartisme dominait la vie politique dans le principal pays de la péninsule ibérique. Désormais, conservateurs et socialistes ne sont plus seuls à briguer le pouvoir. Ainsi, le parti de gauche radicale Podemos a recueilli 20 % des voix et 69 sièges au Parlement, tandis que la formation centriste Ciudadanos obtenait 13 % des votes et 40 sièges. Les deux partis traditionnels, eux, ont obtenu respectivement 28 % (Parti populaire, PP) et 22 % des voix (Parti socialiste ouvrier espagnol, PSOE). L’un a récolté 123 sièges, l’autre 90.

«Comme aucun parti n’a obtenu la majorité absolue de 176 sièges, des négociations seront entreprises pour former une coalition comme prochain gouvernement, explique le professeur Guy Laforest, du Département de science politique. Les partis ont jusqu’au 21 février pour former entre eux une majorité gouvernementale, afin d’obtenir l’investiture. S’ils ne sont pas capables de se rassembler, il faudra de nouvelles élections au printemps. Pendant ce temps, le gouvernement en place gouverne.»

Si autant d’électeurs ont boudé les deux partis traditionnels, c’est en raison des importantes séquelles de la crise économique de 2008- 2009. Durant son mandat, le gouvernement conservateur sortant de Mariano Rajoy a imposé une dure cure d’austérité au pays. Le taux de chômage, qui a déjà atteint 27 %, est aujourd’hui à 21 %. Mais il atteint plus de 40 % chez les jeunes travailleurs. Ceux-ci représentent sans surprise le premier électorat de Podemos, un parti issu du mouvement de protestation des Indignés.

Selon Guy Laforest, trois scénarios sont envisageables, en plus du retour en élections. L’hypothèse la plus plausible verrait le Parti populaire se rapprocher de Ciudadanos. Cette alliance entre conservateurs et centristes serait forte de 163 sièges. Les sièges manquants proviendraient de petits partis. «Mais, dit-il, à cause de différences idéologiques les petits partis ne consentiront pas à l’investiture de Mariano Rajoy.» Un second scénario verrait le parti de gauche PSOE, resté premier parti d’opposition, s’allier à Podemos, pour un total de 159 sièges. «Les sièges manquants viendraient de petits partis nationalistes du Pays basque et de la Catalogne, poursuit-il. Podemos est le seul parti en faveur d’un référendum sur l’autodétermination de la Catalogne. Le PSOE propose une réforme de la Constitution. Ce scénario plausible mais peu probable annoncerait des négociations extrêmement complexes.»

Le troisième et dernier scénario verrait l’entrée en scène de l’Union européenne et des marchés financiers. Ensemble, ils proposeraient la création d’une grande coalition des deux principaux partis, le PP et le PSOE, avec 213 sièges à la clé. Selon le professeur, une telle coalition offrirait à l’Espagne et à l’Europe une stabilité gouvernementale pour un pays de 46 millions d’habitants, le cinquième en importance dans l’Union. «Mais, indique-t-il, ces partis ont alterné au pouvoir depuis des décennies. Ils se détestent. Chacun traîne ses propres histoires internes de corruption. Chacun traîne une culture politique interne de divisions et de conflits. Et chacun a été affaibli par la campagne électorale et ses résultats. Les conditions dans lesquelles ces deux formations s’assoieraient pour négocier une grande coalition ne sont pas évidentes.»

La Catalogne forme une communauté autonome de l’État espagnol. C’est l’une des deux régions les plus riches du pays. «Dans l’imaginaire collectif, souligne Guy Laforest, la Catalogne occupe une place très importante. Les Espagnols y sont viscéralement attachés.»

Aux élections régionales du 27 septembre dernier, les partis indépendantistes catalans ont obtenu 47 % des voix et une majorité de sièges au Parlement régional. Le professeur estime que ces résultats, conjugués à la performance du PSOE et de Podemos aux élections législatives, donnent de l’oxygène à l’idée d’une réforme constitutionnelle en Espagne. «Pour plaire à une majorité de Catalans, il n’est pas nécessaire de leur donner l’indépendance, soutient-il. Il est possible, pour Madrid, de concéder plus de champs de compétences et de modifier les revenus fiscaux vers le gouvernement central. Dans l’hypothèse d’une transition vers l’indépendance politique, le processus serait très compliqué pour la Catalogne.»

Le mouvement de renouvellement politique qui s’amorce en Espagne est-il là pour durer? «Je considère cette transformation comme durable, répond Guy Laforest. Je ne vois pas de résurgence du système d’alternance à court ou à moyen terme.»

Source : LeFil