Trois questions à Anessa Kimball

Trois questions à Anessa Kimball

14 janvier 2016

Sur le plan Obama pour le contrôle des armes à feu

Le 5 janvier, le président Barack Obama présentait avec émotion une série de mesures visant à renforcer par décret le contrôle des armes à feu et à lutter contre la violence aux États-Unis. Mais son annonce a suscité de vives critiques, notamment de la part des membres du Congrès et d'une partie de la population. En quoi consistent ces propositions et quelle peut être leur portée réelle? Anessa Kimball, professeure au département de science politique, propose une brève analyse.


Quelles sont les principales mesures du plan Obama?

Certaines visent à mieux encadrer la vente d'armes à feu, en particulier dans les foires d'armes et sur Internet, où ces transactions ne sont pas réglementées. Elles intiment à tout vendeur de vérifier les antécédents criminels et psychologiques d'un acheteur potentiel. Également, elles rendent obligatoire la tenue d'un registre serré de la part des vendeurs et la déclaration de tout vol d'arme à l'intérieur de deux semaines. Avant, cette période de déclaration s'étalait sur 60 jours. Ensuite, les propositions de la Maison-Blanche permettraient aux autorités policières de confisquer l'arme de quelqu'un qui s'en sert pour proférer des menaces, que ce soit en public ou en privé. Jusqu'à maintenant, les policiers n'avaient pas ce droit. Enfin, des mesures à caractère plus préventif suggèrent que les personnes arrêtées ou hospitalisées pour comportements violents bénéficient d'un suivi beaucoup plus soutenu sur le plan de la santé mentale. Fait à noter, ces propositions ne contreviennent pas, comme certains l'ont prétendu, au deuxième amendement de la loi américaine, qui protège le droit de porter des armes.


Quelle est la réelle portée de ces mesures?

C'est difficile d'estimer leur efficacité, du moins dans l'immédiat. Chose certaine, leur emprise sur le marché des armes illicite est limitée. Or, du côté américain, une grande proportion des crimes violents est perpétrée avec des armes qui proviennent du vol ou du marché noir. Par ailleurs, sécuriser le contrôle des armes aux États-Unis demeure très ardu en raison des réticences des membres du Congrès à légiférer sur cette question. Ces réticences s'expliquent en grande partie par l'influence qu'exerce l'industrie des armes à feu sur le gouvernement. Les lobbies pro-armes, quasi inébranlables, sont aussi puissants que rentables. Parmi les plus influents, la National Rifle Association n'hésite pas à financer les campagnes électorales. Certains membres de la Chambre des représentants ne sont pas si hostiles à l'égard du contrôle des armes. Seulement, en affirmant leur position, ils craignent de se mettre à dos des tranches importantes d'électeurs. Barack Obama est conscient de ce blocage. Dans ce contexte, faire adopter un projet de loi aurait été impossible. Présentement, son objectif n'est pas tant de modifier la réglementation que de jeter les bases d'un mouvement social fort. Pour y parvenir, il lui reste la voie du décret présidentiel. Ses directives ne modifiant pas la loi, leur portée est limitée. Elles servent davantage de point de départ à une solide prise de conscience qu'à un réel changement. Durant la dernière année de son mandat, le président voudra faire avancer ce dossier le plus possible. Il s'agira pour lui d'enjoindre d'autres parties prenantes de militer, comme le fait déjà le sénateur de l'État de New York, Charles Schumer, en faveur d'un meilleur contrôle des armes à feu. Il doit aussi convaincre les citoyens de se saisir de cet enjeu. Bref, dans la prochaine année, le travail de Barack Obama consiste à amorcer et à nourrir un changement de société (un mouvement de la base ou grassroot) partout aux États-Unis. C'est la clé ici pour accéder à un réel changement.


Mais les mesures du président semblent diviser la population. Peut-il vraiment compter sur l'appui des citoyens?

Il est clair que la culture du port d'arme est très enracinée aux États-Unis. Il est aussi vrai que la vente d'armes à feu a augmenté depuis l'annonce des mesures proposées par la Maison-Blanche. Pourtant, en parallèle, les mentalités changent. Le pourcentage d'Américains partisans d'un resserrement du contrôle des armes est en hausse. Il y a quelques années, ils étaient moins de 50%. Or, un récent sondage publié par CNN/ORC chiffre à 67% la part de citoyens qui est d'accord avec le plan Obama. Selon moi, la fusillade de Newton, où 20 enfants ont été tués dans une école primaire en 2012, a marqué un tournant dans le courant social. La mort de ces tout-petits ne survenait pas dans un contexte de guerre civile, mais dans le cadre de la vie quotidienne. Cela a choqué l'opinion publique. Pour plusieurs, la limite de l'acceptable venait d'être atteinte. À mon avis, le président Obama choisit le bon moment pour faire avancer sa cause. En général, les citoyens sont mûrs pour accueillir ses propositions. Évidemment, les renversements sociaux ne se font pas du jour au lendemain. Prenez la réforme de la santé. Plus de 20 ans ont été nécessaires entre les idées lancées par Bill Clinton, dans les années 1990, et l'entrée en vigueur de l'«Obamacare», en janvier 2014. Ce sera pareil pour le contrôle des armes à feu. Il y aura une série de reculs et d'avancées, qui demanderont du temps et de la patience.

Source : LeFil