Uber - trois questions à Alain Barré

10 mars 2016

Trois questions à Alain Barré
Sur le statut des chauffeurs d'Uber

Par : Pascale Guéricolas

La Commission parlementaire des transports, chargée de réfléchir à l'avenir du «transport rémunéré de personnes par automobile» doit poursuivre ses consultations le 10 mars. L'arrivée d'Uber inquiète beaucoup de propriétaires de taxi qui accusent l'entreprise californienne de concurrence déloyale. Alain Barré, professeur au Département des relations industrielles a présenté un mémoire le 23 février devant la Commission. Sans se prononcer sur la légalité de l'existence d'Uber, le chercheur a voulu attirer l'attention des parlementaires sur le statut des chauffeurs employés par Uber.
 

Jusqu'à présent, Uber semble considérer les chauffeurs utilisant ses applications mobiles comme des travailleurs indépendants. Qu'en pensez-vous?

Uber propose à ses candidats-chauffeurs un contrat de prestation de services qui est soumis à la même réglementation qu'un contrat d'entreprise, en vertu du Code civil du Québec. Toutefois, il considère que les lois du travail ne s'appliquent pas aux chauffeurs qu'il emploie. Pourtant, selon moi, il faut s'intéresser à la réalité de l'accomplissement du travail, plutôt que de s'arrêter aux termes du contrat. Si vous êtes dans un état de subordination lorsque vous exécutez une prestation, les lois du travail s'appliquent. Vous êtes donc un salarié, même si le contrat proclame le contraire. Au Québec, il n'y a pas encore de jurisprudence sur le sujet, mais la décision prise par un commissaire du travail en Californie, en juin 2015, pourrait nous inspirer ici.

En quoi la législation établie en Californie pourrait inspirer le Québec?

Les termes du contrat passé entre Uber et ses chauffeurs des deux côtés de la frontière se ressemblent beaucoup. Le commissaire du travail californien en est venu à la conclusion qu'on peut être propriétaire de son outil de travail tout en étant un salarié de l'entreprise au sens des lois du travail. Sans l'application mobile fournie par Uber, il est impossible pour un chauffeur de s'intégrer à l'entreprise. D'autre part, Uber exige de ses chauffeurs que leur voiture soit en bon état de fonctionnement, qu'elle soit propre, qu'elle ait un âge maximum… Ce sont des données très précises qui figurent dans le contrat passé avec l'entreprise; c'est donc Uber qui réglemente l'outil de travail et non le chauffeur. Ce dernier s'intègre à l'entreprise, ce qui le définit comme un salarié. Par conséquent, les lois du travail s'appliquent et l'employeur doit contribuer au financement des régimes des rentes et de l'assurance-emploi, en plus de respecter le salaire minimum. Il est même probable que les chauffeurs puissent aussi sans doute obtenir le droit de se syndiquer pour négocier collectivement leurs conditions de travail. Cette liberté d'association s'applique d'ailleurs aux travailleurs indépendants. La question des pourboires se pose également pour les salariés. En juin, un juge fédéral doit se prononcer en Californie sur un recours collectif de plusieurs milliers de chauffeurs d'Uber. Ces derniers contestent que l'entreprise retienne les pourboires donnés par certains clients. Si les tribunaux les reconnaissent comme salariés, Uber devra leur verser ces sommes, intégrées pour l'instant à la facture réglée par carte de crédit. Ultimement, j'ai l'impression que la question pourrait se rendre jusqu'en Cour suprême après les différents appels.

Comment le droit du travail va-t-il s'adapter à la réalité très mouvante du marché de l'emploi?

L'arrivée des nouvelles technologies change considérablement la réalité du travail. Les salariés travaillent de moins en moins dans un lieu appartenant à leur employeur, selon un horaire qu'il aura prédéterminé. Ce n'est pas facile de savoir comment le droit du travail va évoluer avec l'arrivée des nouvelles technologies. Un grand nombre de questions vont se poser dans l'avenir, que l'on ne peut même pas prévoir aujourd'hui. Avec les applications mobiles et autres technologies, les biens produits ou les services offerts peuvent devenir obsolètes purement et simplement. À titre d'exemple, la compagnie de taxi Diamond à Montréal propose à ses clients une application mobile du même type que celle d'Uber pour mettre les clients en relation directe avec les chauffeurs. Par conséquent, un certain nombre de postes de téléphonistes ont disparu, même si des gens réservent encore par téléphone. Le cas d'Uber va donc sans doute constituer un précédent dans ce type d'industrie. La situation va d'ailleurs évoluer très rapidement aux États-Unis, car ce type de service est en place depuis plus longtemps qu'au Québec. Les tribunaux d'ici auront donc intérêt à s'inspirer des décisions de la justice américaine, car les arguments se ressemblent beaucoup.

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