Voix de la colère et de l'espoir
24 septembre 2024
Un projet de recherche au cœur des dynamiques sociales globales
Le professeur Abdelwahed Mekki-Berrada, anthropologue à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval, mène un projet de recherche d’envergure internationale intitulé « Voix de la colère et de l'espoir: Stratégies narratives numériques et ethnographiques de gestion de la colère et de l'espoir par les jeunes adultes au Canada, en Europe et au Maghreb ». Ce projet, financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) ) à hauteur de 2,5 millions de dollars, explore les stratégies narratives des jeunes adultes pour exprimer la colère et l’espoir dans un monde marqué par l’incertitude et la polarisation.
Un parcours façonné par la quête de justice sociale
Né au Maroc, le professeur Mekki-Berrada a grandi au cœur des tensions postcoloniales et des transformations sociales profondes. Son enfance a été marquée par les années de plomb au Maroc, où les conflits sociopolitiques influençaient fortement l’avenir des jeunes générations. Après avoir étudié l’histoire, la sociologie, la psychologie et l'archéologie préhistorique, il s’est tourné vers l’anthropologie, obtenant un doctorat en anthropologie de la santé à l’Université de Montréal. Depuis 2006, il enseigne à l’Université Laval, où il s’intéresse à l’anthropologie de l’Islam et à l’anthropologie de la santé mentale.
Son projet de recherche actuel découle de l’urgence de comprendre les dynamiques sociales qui poussent de nombreux jeunes adultes à exprimer leur colère de manière violente ou, à l'inverse, constructive. « Que cherchent-ils à nous dire au juste ? Que leur futur est tellement incertain, dans un monde où l’environnement dépérit et où les guerres visent d’abord les civils et les enfants ? », questionne-t-il.
Une recherche transdisciplinaire et internationale
Ce projet de recherche ambitieux s’étendra sur sept ans et couvrira neuf pays : le Maroc, la Tunisie, six pays européens, ainsi que trois provinces canadiennes, dont le Québec. L’objectif est de mieux comprendre comment les jeunes adultes, âgés de 18 à 29 ans, expriment leurs émotions dans un monde marqué par la discrimination intersectionnelle et le mal-être émotionnel.
Le professeur Mekki-Berrada explique que cette recherche repose sur une double approche ethnographique et « netnographique » : « Nous irons rencontrer des jeunes adultes dans leurs milieux de vie respectifs […] et nous analyserons également les contenus des médias numériques auxquels ils se réfèrent pour exprimer leur colère, espoir et vécu discriminatoire. » Ce projet mobilise une équipe internationale de chercheurs issus de disciplines variées, allant de l’anthropologie à la psychiatrie, en passant par les études médiatiques et religieuses. Il met également en œuvre une recherche-action participative, où les jeunes adultes ont déjà été directement impliqués dans la conception du projet et seront partie prenante dans la mise en œuvre des solutions proposées.
Un impact tangible pour les jeunes et la société
L’un des aspects novateurs de cette recherche est son ambition d’avoir un impact concret et durable « par et pour» les jeunes adultes concernés. « Quand ça va mal, nous souhaitons savoir pourquoi et comment, et quand ça va bien, nous voulons aussi savoir pourquoi et comment », explique le professeur. Les résultats de la recherche serviront à développer des modèles d’action qui seront évalués avant d’être proposés aux décideurs politiques, aux institutions éducatives et aux organismes non gouvernementaux des neuf pays concernés. Ces modèles viseront à créer des espaces de confiance où les jeunes pourront exprimer leur colère et leur espoir de manière constructive, contribuant ainsi à la création de nouveaux liens sociaux.
L’anthropologie au service du changement social : comprendre pour mieux agir
Pour le professeur Mekki-Berrada, l’anthropologie a un rôle essentiel à jouer dans la compréhension des dynamiques sociales contemporaines. « Les sciences sociales sont indispensables à notre monde, car elles contribuent à déceler les angles morts d’une humanité à tendance autodestructrice », affirme-t-il. En adoptant une approche comparative et multidimensionnelle, l’anthropologie permet de mettre en lumière les inégalités et les tensions sociales qui sous-tendent la colère des jeunes adultes.
Grâce à cette recherche-action-participative, le professeur espère non seulement mieux comprendre ces dynamiques, mais aussi offrir des solutions concrètes qui permettront de canaliser la colère des jeunes de manière créative et constructive. « Nous espérons que cette anthropologie transnationale, transculturelle et transdisciplinaire nous permettra de développer des modèles d’action basés sur les expressions artistiques et numériques », ajoute-t-il. Ces modèles auront pour objectif de renforcer les liens sociaux et de contribuer à un avenir plus inclusif et solidaire.
Un rayonnement international pour l’Université Laval
Ce projet de recherche, l’un des plus importants en termes de financement jamais reçus par un professeur (à titre de chercheur principal) du Département d’anthropologie de la Faculté des sciences sociales, reflète le rôle de premier plan que joue l’Université Laval dans la recherche internationale. En mobilisant des équipes à travers le monde et en s’attaquant à des enjeux globaux, le professeur Mekki-Berrada et son équipe (dont deux autres professeures du département d’anthropologie de l’Université Laval, Karine Geoffrion et Nat Nesvaderani) renforcent la contribution de l’anthropologie aux débats contemporains sur la justice sociale et le bien-être des jeunes. Avec un financement aussi important, l'Université Laval, son département d’anthropologie et ses chercheurs en sciences sociales démontrent leur engagement à répondre aux grands défis sociaux de notre époque, en collaborant à l'échelle internationale pour un impact durable.