Mon projet de recherche s’intitule « Internet et vaccination : entre risque, confiance et communauté virtuelle » et est guidé par la question de recherche suivante : comment les savoirs en santé circulant sur le Web 2.0, notamment dans les communautés virtuelles, influencent-ils, d’un côté, les sources auxquelles les parents font confiance et, d’un autre côté, les manières dont les parents pensent divers risques en santé, dont ceux liés à la vaccination infantile ? J’ai ainsi cherché à décrire les savoirs en matière de vaccination des parents canadiens, à analyser leurs représentations du risque et définir l’influence de l’Internet et des médias sociaux sur leurs sources d’information de confiance en santé pour prendre leurs décisions.

 

Un terrain longitudinal

Mon terrain de recherche a la particularité de s’être déroulé à la fois en ligne (diverses données numériques) et hors ligne (entrevues), et ce, échelonné sur une période de 3 ans. Alors que l’ethnographie dite classique repose sur des observations au sein de terrains concrets, l’ethnographie en ligne a la particularité d’observer des phénomènes prenant place dans la virtualité et conçoit l’Internet comme un ensemble de microcosmes sociaux (Hine 2014). Mon ethnographie en ligne a été réalisée au sein de communautés virtuelles à travers le Canada de parents sur les médias sociaux, communément appelés « groupes de mamans » ou « groupes de papas » (Anderson 2020). Les observations non participantes ont été réalisées en continu sur une période de 12 mois au sein de 15 communautés virtuelles canadiennes, soit de novembre 2021 à octobre 2022 afin d’observer l’évolution des discussions.

Les données collectées lors de l’ethnographie en ligne ont été triangulées avec celles recueillies lors d’entrevues individuelles semi-dirigées auprès de parents canadiens. Encore une fois, une approche longitudinale, de même que comparative, a été privilégiée afin de bien saisir l’influence de l’Internet et des médias sociaux sur les attitudes et décisions vaccinales des parents. De fait, les participants devaient prendre part à deux entrevues : l’une avant la naissance (durant le 2e ou 3e trimestre de grossesse) et l’autre après la naissance (3-4 mois postpartum). Cette démarche comparative m’a permis de saisir les changements en matière d’utilisation d’Internet et des médias sociaux comme sources d’information, mais aussi les manières dont les perspectives en matière de vaccination évoluent, car les premiers vaccins sont donnés à deux mois de vie. Au total, 46 personnes (43 mamans et 3 papas) ont pris part au projet de recherche pour un total de 90 entrevues, deux participantes n’ayant pas donné suite pour la seconde entrevue. Le recrutement s’est déroulé par le biais de publicités diffusées sur les plateformes de Meta (Facebook et Instagram). L’annonce de l’étude a également été publiée sur les communautés de l’ethnographie en ligne l’ayant accepté.

Des parents critiques face à l’information

La littérature scientifique a illustré que les parents utilisaient grandement les communautés virtuelles pour obtenir de l’information en santé (Kubb et Foran 2020) et que la qualité de l’information présente en ligne était très variable (Swire-Thompson et Lazer 2022). Mon insertion auprès de communautés virtuelles de parents m’a permis de mettre cette littérature à l’épreuve de la réalité empirique. En effet, la plupart des participants partageaient leurs expériences lorsqu'ils publiaient ou commentaient quelque chose, c'est-à-dire qu'ils contextualisaient leur situation, ce qu'ils ressentaient et ce qu'ils comptaient faire. La plupart des participants exprimaient un certain niveau d'hésitation vaccinale. Bien que des informations caractérisées comme fausses par le consensus scientifique étaient parfois partagées, c’étaient principalement des sources gouvernementales ou de santé publique qui circulaient.

Du côté des entrevues, les participants ont souligné qu'ils ne faisaient pas confiance aveuglément à l’information en ligne, préférant les informations données par les professionnels de la santé.  Les participants ont reconnu la présence d'informations contradictoires et de mésinformation en ligne, mais ils ne semblaient pas considérer qu'il s'agissait d'un problème. Les participants ont rarement cherché des informations sur la vaccination en ligne et ne considéraient pas que l’Internet ait exercé une influence dans leurs décisions vaccinales.

Que ce soit pour l’ethnographie en ligne ou les entrevues, les participants étaient dans des processus hautement réflexifs par rapport à l’information rencontrée et leurs décisions en santé. 

Un terrain réflexif

Étudier la vaccination infantile, c’est étudier une décision en santé prise dans la plus grande intimité parentale et familiale (Leach et Fairhead 2007). Ma recherche a débuté alors que déjà j’étais très familier avec la littérature sur la vaccination infantile et que je n’étais pas étranger aux écrits sur la parentalité. J’ai cependant acquis une perspective inestimable durant ma recherche qui m’a suivi dès les balbutiements de l’ethnographie en ligne. Je suis en effet devenu papa pour la première fois d’une fantastique petite fille, Julia, le 10 novembre 2022 et pour la seconde fois d’un adorable petit garçon, Isaac, le 16 septembre 2024. Cette expérience a teinté et orienté positivement l’ensemble de mon terrain en lui donnant une dimension intersubjective. Alors que la planification de ma recherche doctorale s’était déroulée en m’imaginant ce qu’était « être parent », j’ai eu l’occasion d’acquérir ce regard lors de ma collecte de données. Devenir parent m’a aussi aidé à mieux comprendre mes participants et à tisser davantage de liens avec eux dans le sens où nous partagions l’expérience de la réalité de nouveaux parents. Je me souviens d’une entrevue spécifique où la maman allaitait son bébé quand, tout à coup, sa couche a complètement débordé sur la participante. J’ai alors expliqué à la participante que ceci devait arriver chaque jour avec ma fille et nous avons bien ri de la situation. Le fait d’être parent m’a permis de tisser des liens plus solides avec cette participante et bien d’autres. Nos référents propres à la « culture parentale » étaient mutuels en plus d’être confrontés aux mêmes enjeux, que ce soit la garderie, les virus ou le sommeil. En un sens, ceci m’a amené à préciser ma démarche pour obtenir des données de plus grand intérêt pour mon projet de recherche tout en guidant ma réflexion analytique.

Une conclusion sur la parentalité pendant la recherche

En référence à l’anthropologue Victor Turner (Turner et al. 2017)  qui a travaillé sur les rituels, on pourrait associer le doctorat à une forme d’espace liminal. Le doctorant est entre deux eaux : il n’est plus totalement un étudiant, mais il n’est pas non plus un chercheur accompli. Cette tension l’oblige à jongler avec plusieurs mondes qui n’appartiennent pas tous à la même réalité. Dans mon cas, il s’agit de jongler avec les défis de la parentalité. Les enfants ont besoin d’amour, d’encadrement et de support, mais surtout de temps, similairement à l’exercice d’une thèse. Dans cet espace liminal très particulier qu’est le doctorat juxtaposé à la réalité parentale, il faut faire plus avec moins : travailler plus avec moins de sommeil, analyser plus vite en étant malade, rédiger plus efficacement en ayant moins de temps libre. Si devenir parent pendant le doctorat est un défi impressionnant (bonjour les virus!), les apprentissages qui en découlent sont tout aussi conséquents, notamment par rapport à la gestion du temps; chaque minute compte durant une sieste! À mon avis, il s’agit de deux expériences enrichissantes qui se nourrissent l’une de l’autre et qui sont plus souvent complémentaires qu’opposées. Découvrant le monde pour la première fois, les enfants peuvent être la poussée d’inspiration nécessaire pour débloquer les plus grands nœuds dans le processus d’une thèse. 

Programme : doctorat en anthropologie

Période du terrain : novembre 2021 à novembre 2024

Direction de recherche : Ève Dubé

 

Références

ANDERSON, J.W., 2020, « Online and Offline Continuities, Community and Agency on the Internet »,  CyberOrient,  7, 1 : 4-33.

HINE, C., 2014, « Vitual Ethnography: Modes, Varieties, Affordances » : 257-270,  in  N. Fielding , R. Lee, et al. (dir.), The Sage Handbook of Online Research Methods. Los Angeles, London, New-Delhi, Singapore, Sage Publications.

KUBB, C. et  H.M. FORAN, 2020, « Online Health Information Seeking by Parents for Their Children: Systematic Review and Agenda for Further Research »,  J Med Internet Res,  22, 8 : e19985.

LEACH, M. et  J. FAIRHEAD, 2007, Vaccine Anxieties - Global Science, Child Health and Society. Londres,  Earthscan.

SWIRE-THOMPSON, B. et  D. LAZER, 2022, « Reducing Health Misinformation in Science: A Call to Arms », The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science,  700, 1 : 124-135.

TURNER, V. et al., 2017, The ritual process: Structur