Après avoir étudié l’expérience et l’impact du diagnostic du syndrome de stress post-traumatique (SPT) pour des militaires français lors de ma maîtrise, j’ai souhaité me pencher sur un impact quasi direct : la transition à la vie civile des militaires post-traumatisés. À l’heure où la politique de Défense du Canada a pour premier sujet la question de la santé du personnel militaire et la transition à la vie civile (Ministère de la Défense nationale, 2017), cette recherche doctorale questionne l’impact du SPT sur la transition à la vie civile des militaires franco-canadiens.

Plus qu’une simple problématique médicale, vivre avec un SPT implique de multiples enjeux, de nombreuses personnes et établissements de soins, etc., qui vont questionner, transformer, accompagner les personnes post-traumatisées et leur entourage. Ainsi, la façon dont est appréhendé, perçu et mis en mots un trouble de santé diverge en fonction du statut professionnel de la personne, de ses expériences de vie, de son origine socioculturelle, etc. J’ai alors trouvé important d’explorer la façon dont est appréhendé et expérimenté le SPT par les militaires francophones des Forces armées canadiennes (FAC) en transition à la vie civile, mais également par les personnes qui vivent et/ou travaillent quotidiennement avec ces soldats blessés psychiquement.

La préparation de mon projet de thèse, intitulé « L’impact du syndrome de stress post-traumatique sur la transition à la vie civile des militaires franco-canadiens » a permis de définir la méthodologie du terrain et de préparer une collaboration entre divers organismes. En effet, considérant les difficultés de recrutement rencontrées lors de ma maîtrise, j’ai décidé de mettre en place une collaboration auprès de trois organismes de soin et de soutien pour le personnel en uniforme atteint de SPT, basés à Québec. La Clinique TSO (spécialisée dans le traitement des Troubles de Stress Opérationnel) (Figure 1), la Maison la Vigile (Figure 2) et le Centre de la famille Valcartier (Figure 3) ont accepté de m’aider pour le recrutement et dans l’organisation d’observations de leurs différentes activités.

Parallèlement à cette préparation du terrain, j’ai procédé aux demandes d’approbations éthiques qui m’ont confrontée aux premiers défis de la collecte de données. Cette recherche a été soumise à deux comités : celui du CIUSSS de la Capitale-Nationale du fait du recrutement au sein d’organismes de la santé et celui du comité d’éthique des FAC afin de pouvoir travailler auprès de militaires encore en activité. Bien que la première autorisation fût rapidement obtenue en mai 2018, j’ai été très vite confrontée à la réalité du travail auprès de l’institution militaire caractérisée par une forte bureaucratie et des changements très fréquents au niveau du personnel. En effet, afin d’obtenir l’approbation éthique du comité, il a fallu obtenir le parrainage d’un membre haut gradé des FAC. C’est ici l’étape qui a été la plus compliquée considérant ma position de civile. J’ai dû contacter de très nombreuses personnes pour finalement réussir à obtenir ce parrainage. Cependant, entre cette obtention du parrainage et la fin de la préparation du dossier de demande d’approbation éthique, le parrain du projet a été muté à un autre poste au sein des FAC; toute la procédure a dû recommencer afin de trouver un nouveau parrain. Grâce à une forte persévérance, l’approbation éthique des FAC a été obtenue 8 mois après avoir entrepris les démarches, soit en octobre 2018.

Les données recueillies

Au cours de cette année de terrain, j’ai réalisé 27 entrevues. Parmi celles-ci, des récits de vie ont été faits auprès de 13 militaires et vétérans franco-canadiens atteints de SPT et de cinq conjointes de vétérans atteints de SPT. Compte tenu de la problématique de la recherche et du type de population concernée, la méthode des récits de vie a semblé être la plus appropriée, car elle permet aux participants de se centrer sur des enjeux individuels comme la compréhension de la construction identitaire (Burrick, 2010 : 12) ou de encore de « […] saisir des trajectoires, des parcours de vie afin de replacer la question à explorer dans un contexte plus large » (Sauvayre, 2013 : 11). Les autres entrevues étaient de type semi-dirigé auprès de 7 professionnels de la santé et de deux vétérans non atteints de SPT. Ce choix méthodologique avait pour objectif de recentrer les entrevues sur les questionnements de la recherche.

Contrairement à mon terrain de maîtrise, j’ai rapidement été contactée par des militaires et vétérans atteints de SPT. Ces entrevues ont eu lieu dans un bureau privé sur mon lieu de travail sauf une qui a été réalisée dans un café à la demande du vétéran. Précisons que deux entrevues se sont déroulées en deux temps : l’une, car les symptômes empêchaient le vétéran de se concentrer plus de 30 minutes d’affilée et l’autre, car le vétéran était fatigué après 2h30 d’entretien. Malheureusement, la suite de cette dernière entrevue n’a pu avoir lieu, car le vétéran a été hospitalisé et n’a pas souhaité poursuivre (tout en maintenant son consentement pour participer à la recherche). On perçoit ici certains enjeux à prévoir lors de la réalisation d’entrevues, possiblement longues, portant sur des sujets difficiles tels que la violence et les traumatismes. Ainsi, il a fallu penser à plusieurs éléments dans l’organisation des rencontres pour que celles-ci se déroulent dans les meilleures conditions possibles.

Tout d’abord, j’ai été confrontée à des annulations à la dernière minute, et ce pour trois vétérans qui ne se sont pas présentés au rendez-vous. Du fait de la difficulté des récits, plusieurs peuvent changer d’avis. Il était donc utile ici d’organiser l’entrevue rapidement après la première mise en contact. Par la suite, c’est l’organisation spatiale à laquelle il a fallu penser. Par exemple, il faut savoir que la place où s’asseyait le participant avait toute son importance. Certains militaires post-traumatisés sont hypervigilants et ont besoin d’être dos à un mur (non vitré) et pouvoir observer la porte d’entrée. Il fallait donc prévoir l’installation du lieu de l’entrevue afin d’éviter toute situation pouvant impacter le bon déroulement de la rencontre. Puis, pour pouvoir créer la relation de confiance nécessaire au récit de vie (Sluka, 2000; Robben, 1995), il était important de maintenir un lien visuel avec les militaires pour qu’ils se sentent écoutés et non étudiés. Pour encourager le témoignage, rien de mieux que d’apprendre à prendre des notes sans rompre le contact visuel. Enfin, je ne peux laisser de côté l’impact émotionnel ressenti par le chercheur au cours de ces entretiens : se confronter à ce genre de récit n’est pas sans conséquence tant pour le participant que pour l’anthropologue. Il est alors important de prendre conscience de ces possibles difficultés émotionnelles tout en les acceptant. Bien que lors de l’entretien il soit important de ne pas montrer notre ressenti face au récit pour ne pas risquer de déstabiliser le participant, la fin de la rencontre peut être déstabilisante. C’est pourquoi il est nécessaire de trouver des techniques afin de se détacher des récits : précisons que plusieurs services sont offerts à l’Université afin d’offrir de l’aide et que notre direction de recherche est là pour nous guider si le besoin en est ressenti.

Le recrutement des professionnels de la santé a été une étape plus compliquée dû à leur emploi du temps très chargé. Malgré de très nombreux contacts, mes courriels ont rarement eu de retour. J’ai finalement réussi à convaincre certains professionnels à réaliser une entrevue et à en parler à leurs collègues. C’est donc un effet boule-de-neige, compliqué à débuter, qui a permis la rencontre avec ces participants. Ces entrevues m’ont confrontée à une situation différente comparablement à celles réalisées avec les militaires ou les conjointes de militaires. Rencontrés sur leurs lieux de travail, les professionnels faisaient part d’une tout autre expérience face au SPT et j’ai souvent ressenti une certaine remise en question de ma légitimité à travailler sur un tel sujet en tant qu’anthropologue. Ainsi, les entrevues commençaient souvent par un retournement de situation (Ferreira, 2004 : 241) où j’étais l’interviewée et mes participants, les interviewers. Il a alors fallu apprendre à recentrer l’entrevue sur les questionnements de la recherche tout en justifiant l’importance de l’approche anthropologique d’un tel sujet. Ainsi, au-delà de la seule approche thérapeutique, l’anthropologie rappelle combien la dimension sociale de la vie quotidienne est importante à prendre en compte dans la considération du SPT. Permettant de définir une approche allant au-delà du patient, cette recherche considère la personne dans toutes ses dimensions et dans un contexte social large. 

Enfin, c’est dans la réalisation des observations que la réalité du terrain fut la plus déterminante dans l’adaptation du projet de recherche. Malgré les collaborations mises en place, seule la Maison la Vigile, a ouvert ses portes pour l’observation d’un atelier thérapeutique, après de très longues discussions avec la direction clinique et dans un cadre très restreint. Les autres organismes n’ont pas répondu positivement à mes demandes. Ils m’invitaient à réitérer ma demande plus tard, sans que jamais ne vienne le moment adéquat pour ces observations. Avec du recul, mon statut de chercheure civile, qui plus est, n’ayant aucun proche militaire et/ou atteint de stress post-traumatique, a sans doute eu un impact dans mon intégration à certains ateliers thérapeutiques.

Enjeux méthodologiques du terrain

La comparaison de ce terrain à celui réalisé dans le cadre de ma maîtrise a mis en lumière des défis bien différents. Pour les deux, il fut nécessaire de faire des ajustements face aux prévisions préterrain, mais il a été plus facile de rencontrer des vétérans atteints de SPT au Québec qu’en France. En effet, beaucoup de militaires ou vétérans franco-canadiens atteints de SPT se regroupaient dans les mêmes lieux. Ainsi, la plupart des participants étaient traités au sein de la clinique TSO et, dans le même temps, faisaient partie des groupes des réseaux sociaux dans lesquels la recherche était diffusée. L’effet boule-de-neige a donc eu lieu grâce au partage de l’affiche de recrutement dans ces différents lieux de rencontres réels et virtuels.

J’ai également constaté que l’expérience et les connaissances acquises par ces deux terrains m’ont permis de laisser plus libre cours au récit lors d’entrevues parfois très longues. De plus, le fait que je sois française face à des participants franco-canadiens a mis une distance supplémentaire entre la chercheure et les participants. Il est plausible que ces derniers se soient sentis plus libres dans leurs propos, tout en faisant attention à certains détails afin que je comprenne plus adéquatement les contextes évoqués et la réalité militaire des soldats franco-canadiens. Enfin, ces entrevues m’ont surprise de par la présence des symptômes du SPT tout au long des rencontres. J’ai remarqué, notamment dans le langage non verbal des participants, de nombreux traits du SPT tels que le manque de concentration, les réviviscences (sorte de flashback vécu par la personne post-traumatisée) ou encore l’hypervigilance.

En conclusion, cette collecte de données d’une durée d’un an m’a donné accès à de très nombreuses informations grâce aux entrevues réalisées. Les analyses préliminaires me permettent déjà d’entrevoir de nombreuses pistes de réflexion et surtout d’élaborer une approche plus large que le seul aspect traumatique du SPT. Constatant que le spectre d’expérience face au SPT diffère grandement en fonction des participants, il sera très intéressant d’étudier en quoi le stress post-traumatique impacte leur réinsertion au sein de la société québécoise. Bien que l’analyse n’en soit qu’à ses débuts, la thèse se dirige donc déjà vers une appréhension bien plus large des enjeux que représente la réinsertion des soldats blessés dans leur esprit.

Dates du terrain : Mai 2018 à juin 2019

Programme d’études : Doctorat en anthropologie

Direction de recherche : Michelle Daveluy

Références :

BURRICK, Delphine, 2010, « Une épistémologie du récit de vie », Recherches qualitatives, 8 : 7-36.

FERREIRA, Jacqueline, 2004, Soigner les mal-soignés. Ethnographie d’un centre de soins gratuit, Paris: Harmattan.

Ministère de la Défense nationale, 2017, « Protection. Sécurité. Engagement. La politique de défense du Canada », Gouvernement du Canada.

ROBBEN, Antonius C.G.M., 1995, « The Politics of Truth and Emotion among Victims and Perpetrators of Violence », in Nordstrom C. et A.C.G.M. Robben (Eds.), Fieldwork Under Fire. Contemporary Studies of Violence and Survival, Berkeley: University of California Press.

SAUVAYRE, Romy, 2013, Les méthodes de l’entretien en sciences sociales, Paris: Dunod.

SLUKA, Jeffrey A. (Ed.), 2000, Death Squad. The Anthropology of State Terror, Philadelphie: University of Pennsylvania Press.