D’une certaine manière, on peut dire que l’histoire de vos études en sociologie en est une de migrations géographiques et intellectuelles infléchies en cours de route?

En terminant mes études collégiales au campus du Cégep de la Gaspésie et des Îles à Carleton-sur-Mer en 2011, je n’avais pas prévu que la sociologie occuperait une place dans mon parcours universitaire. En fait, j’avais été accepté en histoire à l’Université de Sherbrooke et en science politique à l’Université Laval. Entrainé par le mouvement de la diaspora gaspésienne vers la ville de Québec, j’avais opté pour le second choix qui devait — selon mes plans — m’initier à la politique internationale et me permettre de travailler à l’étranger. Mes visées internationales ont cependant été de courte durée, car je n’étais pas satisfait des explications que donnait la science politique de la réalité sociale et des défis sociaux de notre époque. L’étude des régimes, des institutions et des systèmes politiques était intéressante, mais elle me semblait superficielle par rapport aux autres sciences sociales auxquelles j’avais été initié lors de mes études collégiales et qui amenaient, selon moi, l’explication et la compréhension des phénomènes sociaux à un niveau plus intéressant. C’est à ce moment que la sociologie m’est apparue comme une alternative à la science politique.

Ma première session en sociologie à l’hiver 2012 fut un moment marquant dans mon parcours. Après seulement quelques semaines de classes, les étudiants et les étudiantes du Département de sociologie se sont mobilisé(e)s dans le cadre du mouvement étudiant contre la hausse des droits de scolarité. Si elle a marqué le Québec, je considère également la grève étudiante de 2012 comme une expérience militante ayant enrichi mon parcours universitaire. Avant même de maîtriser les bases théoriques de la discipline sociologique, j’aurai été engagé dans l’action sociale.

Pour ainsi dire, ce n’est qu’à l’automne 2012 que j’ai véritablement entrepris mes études en sociologie. Dès le départ, je me suis trouvé un intérêt particulier pour la sociologie de la culture ainsi que pour les études des milieux ruraux. D’ailleurs, la question « régionale » ou « rurale » est devenue la trame de fond de la plupart de mes travaux et réflexions. Lorsque j’ai entrepris le programme de maîtrise en sociologie à l’hiver 2015, j’ai poursuivi sur cette voie en m’intéressant à la migration des jeunes dans les milieux ruraux. Je dois avouer que ce sujet de recherche devait aussi faciliter un éventuel retour de ma conjointe et moi vers la Gaspésie après nos études. Enfin, nous avons concrétisé notre retour dans la Baie-des-Chaleurs à l’été 2017 et où j’ai poursuivi la rédaction de mon mémoire de maîtrise. J’ai ensuite obtenu une charge d’enseignement à temps partiel en sociologie au campus du Cégep de la Gaspésie et des Îles à Carleton-sur-Mer et, par la suite, une charge à temps plein pour l’année scolaire 2018-2019.

Vous venez de déposer votre mémoire de maîtrise. Pourriez-vous nous présenter brièvement son contenu et vos principales conclusions?

Mon mémoire de maîtrise a été réalisé sous la direction de Dominique Morin et s’intitule Migrations, cohabitations et visions du développement régional dans la Baie-des-Chaleurs. Ce mémoire porte sur le rapport entre les jeunes et le territoire ainsi que sur le devenir de l’espace régional de la Baie-des-Chaleurs. L’intention derrière ce mémoire était de produire une connaissance plus concrète et plus nuancée des MRC d’Avignon et de Bonaventure qui connaissent depuis quelques années des variations démographiques, des soldes migratoires et un développement économique qui ne correspondent plus tout à fait aux caractéristiques habituellement associées aux régions « ressources » ou « périphériques ». Je voulais mieux saisir cet espace régional à partir des représentations qu’en avaient de jeunes natifs, des migrants de retour et de nouveaux arrivants provenant des régions métropolitaines.

Les résultats de l’analyse ont montré l’importance des sensibilités métropolitaines, du partage de la mémoire sociale de la région et du groupe socioprofessionnel dans la construction des représentations de l’espace. Chez les migrants rencontrés, les MRC étaient représentées comme un milieu enrichi d’une urbanité distincte de celle des villes, et où l’intégration était caractérisée par l’interconnaissance des membres de la communauté. Cet espace et son développement étaient également idéalisés dans les représentations des nouveaux arrivants, quoi qu’ils restaient inquiets des projets de développement du secteur primaire. Pour les natifs, au contraire, cet espace demeurait plutôt jugé en déclin et tributaire d’une économie des ressources naturelles.

Les étapes suivies dans cette recherche ont permis de dresser le portrait d’un espace régional qui semble connaître une transition dans sa morphologie, dans sa composition sociale, dans son économie et dans les façons de se le représenter. Cela se manifeste par la cohabitation de groupes de nouveaux arrivants et de natifs dont les mondes demeurent plutôt distincts bien qu’ils partagent le même territoire. Cette dynamique participe à la croissance de la mixité sociale dans un espace régional souvent perçu comme homogène du point de vue social, culturel et économique.

Vous avez décidé, après vos études à Québec, de retourner en Gaspésie où vous êtes actuellement enseignant au campus du Cégep de la Gaspésie et des Îles à Carleton-sur-Mer. Qu’est-ce qui vous a attiré dans l’univers de l’enseignement collégial et qui y a stimulé votre intérêt ? Sur quoi reposait votre décision de retourner en Gaspésie ?

La décision de retourner en Gaspésie n’était pas liée à la disponibilité d’un emploi ni à un projet de carrière précis. Comme je l’ai mentionné précédemment, ma conjointe et moi avions décidé de nous établir dans la région dès que cela serait possible, ce que nous avons fait lorsqu’elle a obtenu un stage dans la Baie-des-Chaleurs et que j’aie eu terminé mes cours à la maîtrise. Même si nous apprécions tous les deux la ville de Québec, il était difficile de nous imaginer y vivre à long terme. Il faut ajouter que les membres de nos familles respectives habitent presque tous dans la région. Sur le plan professionnel, je dois avouer qu’il s’agissait pour ma part d’un saut dans l’inconnu. Plusieurs personnes m’avaient déjà signalé qu’il serait peut-être difficile de trouver un emploi en Gaspésie avec un diplôme de sociologie en poche. Pourtant, seulement quelques mois après notre retour, j’ai pu constater la publication de plusieurs offres d’emploi auxquelles je pouvais aspirer avec ma formation. Mais c’est l’affichage d’une charge de cours en sociologie au Cégep de Carleton-sur-Mer en janvier dernier qui a le plus retenu mon attention. Peu de temps après avoir postulé pour cet emploi, j’ai été embauché. Comme plusieurs de mes collègues à l’université, j’ai toujours considéré l’enseignement collégial comme l’un des débouchés les plus intéressants de notre discipline. Je trouvais stimulant l’idée d’un emploi dans lequel il était possible de perfectionner son savoir sociologique ainsi que d’initier des jeunes à la pensée scientifique en sciences humaines et de les aider à rompre avec leurs analyses spontanées du monde social. Par contre, je ne m’attendais pas à être projeté aussi rapidement dans l’univers de l’enseignement, dans lequel j’avais peu de repères. Je me sentais tout de même privilégié — et encore aujourd’hui! — que ma première expérience professionnelle soit celle d’enseignant au collégial. C’est aussi une chance de travailler dans mon ancien Cégep avec des collègues qui étaient autrefois mes enseignants!

Et vous avez l’opportunité de continuer de faire de la recherche hors de l’université?

Le campus du Cégep de la Gaspésie et des Îles à Carleton-sur-Mer a la chance d’avoir dans son établissement le Centre d’initiation à la recherche et d’aide au développement durable (CIRADD). Dans le cadre de mon emploi au Cégep, je collabore en ce moment avec le CIRADD à la réalisation d’un projet de recherche qui porte sur la capacité de support de la rivière Bonaventure. À la demande de partenaires du milieu, ce projet vise à construire un outil — le sustaining human carrying capacity — qui permettra de concilier les différents usages et intérêts liés à la rivière Bonaventure, tout en assurant la qualité environnementale du milieu. À l’étape actuelle de la recherche, mon rôle est de dresser le portrait démographique et socioéconomique du bassin versant de la rivière Bonaventure. Mon travail permet de saisir la dynamique régionale dans laquelle s’insère l’enjeu de la cohabitation et aussi de recenser les différents acteurs récréotouristiques dont la clientèle est à l’origine des différents conflits d’usages sur la rivière. Ce travail n’est pas sans rapport avec mon projet de mémoire et mon Laboratoire de recherche qui mettaient tous deux en lumière les différentes représentations et les différents types de rapport à l’espace — rural dans un cas et urbain dans l’autre — existant et générant des visions différentes du développement.

Pour ce qui est de l’avenir, je m’y attarde peu ces temps-ci car le présent absorbe le plus clair de mon temps! Blague à part, je n’écarte pas la possibilité d’éventuellement tenter l’aventure du doctorat. Mais pour l’instant, j’ai déjà de beaux défis à relever au quotidien avec ma tâche d’enseignant. Dans tous les cas, mon lien avec le Département de sociologie de l’Université Laval reste toujours aussi fort et j’espère pouvoir collaborer à son rayonnement.