Qu’est-ce qui a motivé votre retour aux études pour faire un doctorat en sociologie?

J’ai d’abord été gestionnaire dans le secteur hôtelier. Tout ce qui touchait le management, et en particulier la gestion de la qualité du service, m’intéressait. Bien faire les choses pour satisfaire les consommateurs me semblait tout naturel et c’était bien ancré dans l’ADN de l’entreprise où je travaillais. Ce n’était pas simplement une valeur « affichée sur le mur »; au contraire, ça se reflétait chaque jour dans nos comportements. Toutefois, en tant que consommatrice, c’était une toute autre histoire! Plus souvent qu’autrement, je me heurtais à des organisations qui priorisaient leurs processus et politiques internes plutôt que la satisfaction des besoins et des attentes de leur clientèle. Et pourtant! Quelle organisation ne clame pas, haut et fort, que le client est roi, que le client est une priorité? Or, on constate dans bien des cas que ce slogan n’est que promotionnel; il est utilisé dans l’optique d’attirer la clientèle, et non de la fidéliser. Cet écart que je constatais m’a donc menée à plusieurs interrogations. Pourquoi cette promesse faite aux clients n’était-elle pas tenue? Pourquoi pouvait-elle l’être dans certaines organisations, mais pas dans d’autres?

J’ai donc fait un retour aux études, d’abord au baccalauréat (sciences de la consommation, communication organisationnelle), puis à la maîtrise en mesure et évaluation. Mon mémoire portait sur l’élaboration et la validation d’un outil diagnostique francophone destiné à mesurer l’orientation-client des entreprises. J’ai ensuite commencé à enseigner au baccalauréat en sciences de la consommation et après une pause des études pendant deux ans, je suis (encore!) retournée étudier… et je me suis inscrite au doctorat en sociologie à l’automne 2015.

Je considère que les modes de management ne surgissent pas de nulle part; ils sont le reflet de la société dans laquelle on vit et, en retour, ils influencent la société. Or, jusqu’à mon entrée au doctorat, mon parcours avait été davantage marqué par le côté « appliqué », tant dans mes études que dans mes expériences de travail antérieures, et j’avais envie d’aborder les relations entre les organisations et les consommateurs sous un autre angle, qui ne serait ni managérial, ni mis à l’épreuve via une quantification. Je trouvais qu’après avoir appris les fondements de ma discipline, le champ de la sociologie représentait un excellent complément qui allait me permettre d’approfondir ma compréhension des relations entre organisations et consommateurs.

Quels sont vos principaux intérêts et projets de recherche?

De façon générale, mes intérêts de recherche portent sur les modes de management axés sur le bien-être des consommateurs. Ma perspective est à la fois critique et consumériste, c’est-à-dire qu’elle est axée sur la protection des intérêts des consommateurs. Dans le cadre de ma thèse, je m’intéresse plus particulièrement au développement des nouvelles professions dont le rôle est de gérer et d’améliorer l’expérience-client. Ces professions sont en émergence actuellement au Québec, après que cette tendance ait balayé les États-Unis. Je pars du principe que ce type de profession représente une forme d’institutionnalisation de la figure du client au sein des organisations.  

Comme je viens tout juste d’entrer en poste et que j’en suis à développer mon programme de recherche, mes projets sont, pour l’heure, essentiellement reliés à ma thèse. J’ai d’ailleurs le bonheur d’être dirigée par le professeur Daniel Mercure, spécialisé en sociologie du travail et des organisations. Nous avons donc quelques travaux en cours, en parallèle de la thèse, notamment une communication à venir ainsi qu’un article en préparation. Par ailleurs, je conserve « un pied dans le milieu » en supervisant des stagiaires à chaque session, ce qui me permet de nourrir mes réflexions pour enrichir mes cours et mes projets de recherche futurs!

D’après vous, comment la sociologie peut-elle nourrir les sciences de la consommation et, inversement, qu’est-ce que les sciences de la consommation peuvent apporter à la sociologie? Quelle est la relation entre ces deux disciplines?

D’abord, je trouve important de préciser ce que sont les sciences de la consommation : il s’agit de l’étude des relations entre organisations et consommateurs dans l’optique de favoriser le bien-être des consommateurs. On y traite de compréhension des consommateurs, de mesure de leur satisfaction, de programme d’amélioration de l’expérience-client, d’enjeux durables en consommation, etc. Par conséquent, les programmes en sciences de la consommation sont uniques au Québec : ailleurs dans le monde, on parle plutôt de Consumer Economics ou encore Consumer Affairs.

Il faut dire qu’il y a tout de même certaines similitudes entre la sociologie et les sciences de la consommation. En effet, l’origine des sciences de la consommation est notamment économique (la famille ou le ménage comme unité économique, l’intérêt pour le comportement du consommateur) et sociologique (sous l’influence notamment d’auteurs comme Baudrillard), en plus d’être ancrée dans les mouvements sociaux liés à la défense des droits des consommateurs (donnant lieu, par exemple, au « Consumer Bill of Rights » du président Kennedy en 1962).

Pour revenir à votre question, de mon point de vue, la sociologie m’apparaît davantage comme une discipline fondamentale alors que les sciences de la consommation sont davantage tournées vers l’application pratique. Ces deux disciplines peuvent alors apporter des regards différents sur les mêmes objets de recherche et il devient intéressant de les croiser afin de pouvoir en apprécier la complémentarité. La sociologie apporte aux sciences de la consommation une perspective critique plus affirmée, quoique déjà présente. La sociologie fournit également des cadres théoriques différents pour analyser des problématiques spécifiques aux sciences de la consommation.

Par ailleurs, la prise en compte du client en sociologie permet d’analyser différemment le triangle « employé-employeur-client » alors que, généralement, les travaux sur les métiers du service ou la relation de service mettent l’accent sur l’employé. En prenant ce dernier comme point de départ de l’analyse, on le considère la plupart du temps sous le « contrôle » du client. L’apport des sciences de la consommation permet donc de s’intéresser davantage au rapport de pouvoir se situant entre l’organisation et les consommateurs. C’est alors l’organisation qui occupe la position dominante, au détriment du consommateur qui se retrouve davantage vulnérable et désavantagé. Très peu de travaux en sociologie se sont intéressés aux relations de service selon cette perspective, alors il me semble qu’il s’agit d’une voie prometteuse, car la dimension critique de la sociologie se prête à merveille à ce thème.