Simon Langlois (1947— ) est une figure importante de la sociologie québécoise et de l’Université Laval, où il fut étudiant puis assistant d’enseignement avant de devenir professeur agrégé en 1986 et par deux fois directeur du département de sociologie. Il n’a, durant tout ce temps, cessé de nourrir la recherche, participant à et dirigeant des chaires universitaires et des comités de rédaction de revues scientifiques, publiant articles, chapitres, livres, attaché à documenter les transformations que vit le Québec depuis la Révolution tranquille dans une perspective de comparaison internationale. Les nombreuses récompenses québécoises, canadiennes et françaises qu’il a reçues soulignent l’importance de ses travaux. Aujourd’hui à la retraite, Simon Langlois poursuit ses recherches et son engagement dans le débat public.

L’objectif de cette journée était donc de faire la synthèse de son considérable travail et d’en dégager le fil conducteur ainsi que la pertinence, tant académique que sociale.

Le premier des quatre ateliers a tout d’abord replacé l’œuvre de Simon Langlois dans son contexte historique, géographique et sociologique, ce qui a permis de l’aborder de façon thématique dans les ateliers suivants. L’un portait sur le changement social, objet de recherche principal du sociologue. L’identité, la langue et la nation, concepts lus au prisme des relations entre le Québec, le Canada et le Canada français étaient au cœur du troisième, tandis que le dernier portait sur la sociologie de la consommation. Des témoignages d’anciens étudiants et étudiantes ont couronné cette journée, que Simon Langlois a salué dans un court discours final.

 

  1. Situer l’œuvre de Simon Langlois

L’œuvre de Simon Langlois est le reflet d’un lieu et d’une époque : le Québec de la seconde moitié du XXe siècle, dont elle analyse finement les bouleversements. Elle est également affiliée à la tradition sociologique québécoise, tout en s’inspirant de l’individualisme méthodologique de Raymond Boudon.

 

a) Contexte historique

« L’analyse des changements sociaux au Québec : voilà une constante dans l’œuvre de Simon Langlois » (Fortin, 2019). Né en 1947, Langlois a été témoin, acteur et observateur attentif des profondes mutations qui ont marqué la société québécoise dans la deuxième moitié du XXe siècle. Bien que les modes de vie dans la province aient entamé leur transformation plus tôt, c’est dans les années 1960 avec la « Révolution tranquille » que les institutions en prennent acte et s’adaptent en conséquence (Langlois, 2012). En une décennie et de nombreuses réformes, l’Etat se réorganise totalement, adoptant les principes de l’Etat-providence et intervenant dans l’économie qui effectue un « spectaculaire rattrapage […] durant les années 1980 » (Langlois, 2005, p. 126). Le portrait de la société se modifie subséquemment. Ainsi par exemple, sur le marché du travail qui se féminise (Fortin, 2019), la proportion de personnes employées appartenant à la classe ouvrière se réduit tandis qu’augmentent les effectifs au sein des échelons élevés de la structure sociale (Harvey, 2019). Les tendances démographiques évoluent également à mesure que la fécondité baisse et que l’espérance de vie s’allonge (Langlois, 2005). Ces changements, associés à des transformations de nature macrosociale, microsociale, idéologique, ou encore économique, s’accompagnent, et s’entraînent. Simon Langlois les rend visibles grâce au concept de « tendance », qui rend compte des mutations de la société québécoise à tous les niveaux depuis un demi-siècle. La Révolution tranquille voit également une refondation du nationalisme au Québec qui se « constitue comme référence nationale pleine et entière » (Cardinal, 2019), s’écartant du nationalisme canadien-français prévalant jusqu’alors. Deux référendums portant sur la souveraineté du Québec sont organisés en 1980 et 1995, mais ne se traduisent pas en un passage du statut de province à celui d’Etat indépendant. Les travaux de Langlois mettent par ailleurs en évidence que « la Révolution tranquille québécoise est loin d’être un phénomène local » (Langlois, 2019). Les sociétés industrialisées ont toutes fait face à des changements institutionnels, économiques et sociaux semblables depuis les années 1950, prenant leurs racines dans la révolution industrielle et les effets profonds qu’elle continue d’exercer.

 

b) Tradition sociologique québécoise

Simon Langlois a fait siennes les questions occupant la société québécoise comme la « tension entre tradition et modernité et une lecture moderniste de l’histoire politique canadiano-québécoise » (Laniel, 2019). Ce dualisme, « élément central de la sociologie québécoise » (Laniel, 2019), a fortement été inspiré par la dialectique folk society/urban society des travaux de ladite « Ecole de Chicago », qui saisit la transition non linéaire entre société traditionnelle et société moderne. Il a fait l’objet de critiques diverses l’accusant notamment d’être coupé du réel, ce dernier étant plus complexe et riche que ce qu’une approche dualiste peut laisser entendre. Pour sa part, Jean-François Laniel observe que le dualisme n’est « pas une tare de la sociologie québécoise, mais un fait intellectuel, une réalité sociologique et une approche féconde lorsqu’assumé et nuancé ». Le chercheur retrouve cette conception dans l’œuvre de Langlois, « sociologue non dualiste de la dualité », qui l’analyse sans s’y enfermer, produisant de ce fait une « œuvre de possibles partagés plutôt que de finalité rêvée » (Laniel, 2019). Le sociologue s’inscrit également dans la lignée des auteurs classiques de la sociologie québécoise, dont il s’inspire tout en ouvrant de nouvelles perspectives à partir de leurs approches (Fortin, 2019). Les sociologues québécois Jean-Charles Falardeau et Fernand Dumont ont ainsi été évoqué à plusieurs reprises par les conférenciers et conférencières (Cardinal, 2019 ; Fortin, 2019 ; Warren 2019). Pour Jean-Philippe Warren, Simon Langlois reprend « le projet de Falardeau d’une sociologie du Québec » (Warren, 2019). « Précurseur de la Révolution tranquille » (Langlois, 2012), Jean-Charles Falardeau (1914-1989) fut le premier sociologue québécois francophone à faire carrière à l’université. Il a notamment « jeté les bases d’une véritable sociographie de la société québécoise » (Langlois, 2012, p. 267), en prenant la ville de Québec comme laboratoire pour ses recherches empiriques, suivant le modèle de l’école de Chicago. Ce faisant, il a contribué à établir la sociologie comme science permettant de produire des savoirs et des analyses, qu’il mit à profit pour intervenir sur les enjeux de société. Simon Langlois a également rappelé, en clôture de conférence, l’importance de l’apport théorique du sociologue, philosophe et poète, Fernand Dumont (1927-1997) sur la culture et le symbolique dans la vie sociale, ajoutant qu’il « lui doit l’intérêt pour les représentations collectives » (Langlois, 2019). D’autres ont été cité comme Marc-Adélard Tremblay, Gérald Fortin (Fortin, 2019) et Guy Rocher (Cardinal, 2019), leur héritage apparaissant clairement dans l’œuvre de Simon Langlois. Les multiples textes qu’il a publiés sur ces auteurs soulignent enfin l’estime que le sociologue a pour leurs travaux (Warren, 2019).

 

c) Paradigme structurant : l’individualisme méthodologique

L’approche sociologique de Raymond Boudon (1934-2013) est l’une des principales sources d’inspiration de son ancien doctorant Simon Langlois (Assogba, 2019 ; Warren, 2019 ; Beaud, 2019 ; Valade, 2019). Le sociologue français est à l’origine du paradigme de l’individualisme méthodologique, qui « postule que les phénomènes sociaux macrosociologiques s’expliquent par l’agrégation des actions individuelles » (Assogba, 2019), réhabilitant « la place de l’individu dans l’analyse des phénomènes sociaux » (Langlois, 2013). Boudon lui reconnaît en effet la capacité de faire des choix rationnels, ancrés dans leur contexte particulier, sans s’enfermer dans une conception instrumentale de la rationalité (Warren 2019). Les conséquences de l’agrégation de ces choix ne correspondent cependant pas forcément aux attentes des acteurs et peuvent produire ce que Boudon nomme des effets pervers. Toute la sociologie de Simon Langlois semble infusée dans cette approche, analysant les résultats agrégés, les « tendances » issues de comportements individuels, et dépassant le stade de l’observation pour celui de l’explication. Yao Assogba a donné un exemple de la mise en pratique de cette approche par Simon Langlois dans son analyse de la baisse tendancielle du soutien à l’indépendance du Québec depuis le Référendum de 1995. Afin de l’expliquer, ce dernier a construit six types d’électeurs mettant en lumière quels groupes démographiques étaient les plus enclins à soutenir l’indépendance nationale en 1995 et en 2010. Observant la baisse de l’appui à ce projet dans certains groupes comme celui des francophones ayant entre 18 et 55 ans, il mobilise plusieurs outils théoriques, dont l’individualisme méthodologique, pour proposer des hypothèses explicatives. Ainsi, « tout se passe comme si les votants tiennent compte des risques coûts/avantages liés au changement culturel ou événementiel au Québec » (Assogba, 2019). De fait, le contexte socio-historique a profondément changé au Québec depuis les années 1960, et l’amélioration des conditions de vie de la population québécoise est allée de pair avec une réduction de la menace que représentaient l’anglais et l’appartenance à la fédération canadienne. En conséquence, explique Simon Langlois, l’indépendance du Québec apparaît moins nécessaire qu’auparavant.

 

  1. Œuvre

En introduction de sa présentation, Bernard Valade observe que ce colloque s’apparente à un séminaire, pour son aspect « spirituel » et à un atelier qui « sent l’ouvrier, celui de la pensée » (Valade, 2019). Les outils mobilisés par l’« ouvrier » Simon Langlois pour construire son œuvre peuvent se subdiviser en trois catégories communicantes : la méthode employée, les concepts privilégiés et les objets considérés.

 

a) Méthode

Bernard Valade note avec affection que « l’équilibre entre recherche empirique et théorique rend l’œuvre [de Simon Langlois] aussi attachante qu’intéressante » (Valade, 2019). Cet aller-retour constant est en effet l’une des caractéristiques de l’approche de ce sociologue qui la tient de sa formation universitaire à l’Université Laval, et pour qui « les faits sont têtus (empirie), [mais] ils ne parlent pas d’eux-mêmes (théorie) » (Langlois, 2015, p. 3). Jean-Pierre Beaud décrit cette approche comme la combinaison d’une base empirique, de la prise en compte de divers systèmes d’action et de l’adoption du principe de distanciation, peu importe l’objet (Beaud, 2019). Appliquée aux tendances, concept clé de l’approche de Simon Langlois, cette méthode se déroule en deux temps : l’analyse des tendances puis la généralisation sur cette base (Fortin, 2019). C’est donc une approche inductive, fondée sur l’analyse de données empiriques, sans cependant se limiter à être « une théorie ancrée faisant fi de tout a priori théorique » (Fortin, 2019). Elle résulte au contraire d’un important travail de théorisation définissant ce qui va être observé (Fortin, 2019) afin de produire un « diagnostic sociologique appuyé empiriquement » (Warren, 2019), respectant « les règles établies et la neutralité axiologique » (Langlois, 2019). Par exemple, seule l’interprétation de l’approfondissement d’une tendance permet de la définir comme une mutation, c’est-à-dire un changement plus profond (Fortin, 2019). Fernand Harvey ajoute que Langlois a l’originalité de « combiner les statistiques avec des sondages et des enquêtes qualitatives » (Harvey, 2019). Cette « interaction entre données quantitatives (le socle de l’analyse) et qualitatives, [permet] d’échapper à la simple description pour aborder l’interprétation » (Harvey, 2019). L’approche de Langlois est également diachronique, afin de prendre la mesure du changement social. En pratique, cela se reflète dans son « souci [d’établir des] repères dans la durée » (Harvey, 2019), plutôt que de mener des enquêtes longitudinales de terrain. Ces repères débutent dans les années 1960 dans les travaux du sociologue, du fait de l’adoption d’instruments statistiques par l’Etat à cette époque qui rendent possible la comparaison dans le temps (Harvey, 2019). Enfin, Andrée Fortin et Fernand Harvey soulignent que cette approche analytique sert également la comparaison entre sociétés, grâce à l’élaboration d’une « grille d’analyse uniforme » (Harvey, 2019). Cette dernière, comprenant 78 tendances et 17 thématiques, a été mobilisée dès les années 1970 par le Groupe international d’analyse du changement social dans les sociétés industrialisées, « connu informellement sous le nom de Club du Québec » (Langlois, 1990, p. 9) dont Langlois fut coordinateur. Les études produites par ce groupe comprennent à la fois des monographies et des comparaisons de sociétés entre elles, apportant des éléments de réponse à la question de savoir dans quelle mesure et jusqu’à quel point les sociétés convergent dans leur devenir. Elles révèlent, entre autres, que s’il y a bien des tendances fortes agissant comme des variables exogènes, chaque société invente ses propres solutions (Harvey, 2019).

 

b) Concepts

La sociologie de Simon Langlois mobilise un certain nombre de concepts dont les plus importants ont été évoqué par les conférenciers et conférencières : société globale, morphologie sociale et tendance. Le concept de « morphologie sociale » est l’échafaudage sur lequel s’érige la sociologie de Simon Langlois. Désignant la « forme matérielle de la société » (Fortin, 2019) c’est-à-dire ses aspects mesurables, il est issu de la sociologie française. Dans sa présentation, Andrée Fortin rappelle que, pour Simon Langlois, la morphologie d’une société est « l’évolution de sa population, les contraintes de sa géographie, l’état de son économie, la nature de ses échanges avec l’extérieur ou encore les institutions qu’elle s’est donnée » (Langlois, 2018, p. 10), permettant d’étudier « les changements qui ont marqué les façons de vivre et les modes de vie au Québec, la place respective des groupements sociaux, des groupes d’âges et des sexes et, plus largement, dégager comment le tissu social s’était modifié au fil des ans » (Langlois et Trudel, 1986, p. 7). L’étude du Québec l’amène à mobiliser également le concept de société globale. Ce concept, « un des plus confus de la science contemporaine » selon Fernand Dumont (Dumont, 1962, p. 277), provient du sociologue français d’origine russe George Gurvitch. Ce sont pour lui des « cadres sociaux structurés ou au moins structurables » (Gurvitch, 1949, p. 4) composés de formes de sociabilités, de groupements particuliers et de classes (Fortin, 2019). Ce concept a été utilisé au Québec pour désigner la province comme « entité, ensemble de significations » (Fortin, 2019), accompagnant le passage du Canada français au Québec et de la conception de cette société comme un Etat (Fortin, 2019). L’usage du concept de société globale permet à Langlois « de s’inscrire dans la tradition de la sociologie française et québécoise », tout en se revendiquant généraliste plutôt que spécialiste d’aspects spécifiques cette société (Fortin, 2019). Dans les discussions suivant le premier atelier sur « contexte et fondamentaux », un commentateur souligne qu’en alliant quantitatif et qualitatif dans ses travaux traitant de la société québécoise, le sociologue a donné au mot « global » une crédibilité qu’il n’avait pas lorsque les analyses étaient uniquement qualitatives. Cela a permis que le concept colonise d’autres disciplines comme la science politique. Enfin, le concept de tendance permet à Langlois de préciser ce qu’il regarde. La tendance est une « généralisation empirique sur un phénomène de société vu dans la perspective du changement ou de son évolution dans le temps » (Langlois, 2003, p. 19), ainsi que « la plus petite unité d’observation que nous avons pu isoler […] définie comme un vecteur de changement. » (Langlois, 1990, p. 15). Moins classique en sociologie que les deux premiers, ainsi que le met en évidence Andrée Fortin, ce concept rend possible l’analyse du changement dans le temps, en particulier grâce à son alliance avec l’approche inductive.

 

c) Objet(s)

Toute l’œuvre de Simon Langlois tire sur un fil rouge : analyser le changement social au Québec. Quel est-il, comment l’envisager, le mesurer, le comparer ? Il combine, pour répondre à ces questions, le concept de morphologie sociale, « l’infrastructure », à celui des représentations, la « superstructure » (Langlois, 2019). C’est ce changement comme un tout qui l’intéresse, bien qu’il ait également analysé certaines de ses formes particulières. Quatre se sont spécifiquement dégagées des interventions lors de ce colloque : la stratification sociale, la consommation, la (re)fondation nationale du Québec ou du Canada et la justice. Ainsi, selon Fernand Harvey, Simon Langlois a remis les études sur la stratification sociale à l’avant plan. Il l’a fait de façon originale, en s’inspirant des approches de Karl Marx et de Max Weber afin d’adapter l’analyse des classes sociales formant la stratification aux changements survenus depuis le XIXe siècle (Langlois, 2016, p. 240). Les strates dégagées permettent d’observer les transformations des quarante dernières années. Fernand Harvey cite quelques exemples illustrant la volonté de Simon Langlois de dépasser le stade descriptif pour atteindre celui de l’interprétation : le retour de la notion de classe moyenne depuis les années 1980, la nouvelle différenciation du social sur l’origine ethnique ou encore l’évolution des aspirations des familles québécoises (Harvey, 2019). Il s’intéresse en effet aux aspects subjectifs attachés à cette stratification grâce à la mobilisation du concept « aspiration » (Harvey, 2019). Caractérisant « ce qui est jugé désirable pour le bien-être [des membres des familles] une fois satisfaits les besoins de base » (Langlois, 2017), ce concept fait le lien entre l’analyse de la stratification sociale et celle de la consommation. Le sociologue québécois a travaillé sur la sociologie de la consommation, bien que ce terrain de recherche ait longtemps été considéré comme « négligeable, second, voire suspect » (Valade, 2019). Son analyse matérielle et subjective montre le passage d’une « société de besoins à une société de désirs » (Valade, 2019), ouvrant de nouvelles perspectives de recherches telles « la constitution d’une nouvelle culture matérielle » et de « l’imaginaire social » (Valade, 2019). L’intérêt de Langlois pour la subjectivité se manifeste en outre dans ses travaux comparés sur le sentiment de justice sociale au Québec et en France, publiés en 2016 et menés avec le sociologue français Michel Forsé (Langlois, Forsé, Parodi, 2016). Ces recherches avaient pour point de départ de « valider empiriquement l’hypothèse méthodologique de John Rawls dans sa théorie de la justice » (Forsé, 2019), qui postule que les individus sont pourvus d’un sens de la justice, « traduisant le désir d’accorder à chacun ce à quoi il a droit » tout en « ne se réduisant pas à un intérêt clair et compris et excédant les calculs utilitaristes » (Forsé, 2019). La comparaison entre ces deux pays relativement semblables met en évidence l’écart entre les perceptions et la réalité des inégalités sociales et de la pauvreté (Forsé, Langlois, Parodi, 2016).

 

Attaché à étudier le Québec sous tous ses aspects, Langlois s’est enfin penché sur les relations entre le Québec et le Canada, et en particulier sur la « fondation et refondation » de leurs identités nationales respectives. Développant l’analyse du sociologue sur ce sujet, Linda Cardinal salue son intérêt pour « comprendre ce qu’il se passait de l’autre côté de la frontière du Québec » (Cardinal, 2019). Cette (re)fondation des deux nations au cours des années 1970 s’est faite, selon Langlois, autour des lois sur les langues officielles et le multiculturalisme. Reflétant l’adoption et la promotion d’une nouvelle identité et d’une nouvelle façon de concevoir le vivre-ensemble par le Canada, ces lois ont poussé le Québec à se positionner et à se constituer comme « référence nationale pleine et entière » (Cardinal, 2019).

 

  1. Postérité

Revenir sur trente ans de recherche implique de mesurer ce que Langlois a apporté, à la fois à la science et aux personnes qui l’entourent dans ce monde académique.

 

a) Apport scientifique

Selon Jean-Philippe Warren, Langlois a « produit une des contributions les plus stimulantes et les plus solides de sa génération » (Warren, 2019). Son influence ne s’est pas seulement limitée à la sociologie, la diversité de disciplines dans lesquelles œuvrent les conférenciers et conférencières en témoigne. Ainsi, Linda Cardinal et Jean-Pierre Beaud, tous deux politologues, ont valorisé l’apport du sociologue à leur discipline. Lors de sa présentation, la première souligne plus spécifiquement l’importance de sa lecture des concepts de fondation/refondation. Jean-Pierre Beaud voit dans la méthode, les concepts et le contenu des recherches de Simon Langlois, une indéniable valeur pédagogique, précisant qu’il fait lire le sociologue à ses étudiantes et étudiants. Historien, Fernand Harvey reconnaît que l’analyse de la société québécoise sur un demi-siècle fournie par Simon Langlois sera un matériel précieux pour les tenants de sa discipline qui revisiteront cette période (Harvey, 2019). Le sociologue a également traversé les frontières entre Etats, et ce, dès son doctorat qu’il obtient en France. Plusieurs laboratoires de recherches en Europe et en Amérique l’invitèrent au cours de sa carrière et il a étroitement collaboré avec des chercheurs et chercheuses de différents pays, notamment dans le cadre de ses travaux sur le changement social. La participation au colloque des français Bernard Valade et Michel Forsé représente cette volonté d’élargir le regard, de tisser des liens, de créer des ponts. De fait, les recherches de Simon Langlois ont permis d’éclairer les mutations qui transforment le Québec depuis les années 1960, au regard de ce qu’il se passe dans le reste du monde, grâce aux études comparatives et monographiques entreprises avec le « Club de Québec ». Ces comparaisons, « perspectives nécessaires et incontournables » selon lui, mettent en relief « les destins singuliers des sociétés » ainsi que leurs convergences (Langlois, 2019). A l’instar de Falardeau, il n’envisage pas de confiner le résultat de ses recherches au monde académique. C’est un « sociologue engagé », qui diffuse ses travaux et prend position sur son blogue, dans la presse généraliste (Le Devoir, le Soleil, etc.) et dans l’Annuaire du Québec devenu l’Etat du Québec, pour que tous puissent s’en saisir. « Il n’a pas seulement contribué à nourrir le dialogue scientifique, mais également l’avancement du monde qui est le sien, son monde, le Québec » (Cardinal, 2019) en tant qu’intellectuel (Fortin, 2019). Cette volonté de partage n’est pas restée sans réponse. Simon Langlois le rappelle, il a souvent reçu des demandes, notamment de la part du milieu politique, pour fournir des précisions sur ses travaux touchant par exemple à la pauvreté (Langlois, 2019). Le sociologue estime qu’« il est rassurant de voir que le travail produit dans la société savante, la “tour d’ivoire”, peut être utile et utilisé »  (Langlois, 2019).

 

b) Apport humain

« Simon Langlois a un seul défaut, on ne peut pas le cloner ! » (Warren, 2019). Voilà qui résume l’esprit d’une journée émaillée de marques d’amitié pour Simon Langlois, culminant avec le témoignage de certains de ses anciens étudiants et étudiantes.

Beaucoup soulignent la durée de leur relation à l’instar d’Andrée Fortin, qui, un sourire en coin, rappelle que Simon Langlois « était directeur quand elle a été engagée et directeur quand elle a pris sa retraite » (2019) quelque trente ans plus tard. Jean-Pierre Beaud raconte également l’anecdote de leur rencontre, lorsque Langlois a convaincu l’étudiant français qu’il était de poursuivre un doctorat à l’Université Laval, marquant le début d’une longue amitié (et d’une installation définitive au Québec). « Fiable, transparent et sincère » (2019) selon Linda Cardinal, « formidable modèle du savoir rigoureux, patient, généreux » pour Jean-Philippe Warren, ses collègues ne tarissent pas d’éloges. Reflet de l’exercice, ce sont quatre des ex-étudiants et étudiantes dont il fut le directeur de thèse, qui mettent le plus en valeur l’apport humain du chercheur. Emue, Marie-Rosalie Sagna relate le « rôle exceptionnel » de Langlois dans un « parcours semé d’embûches et de défis », capable de voir ses difficultés sans qu’elle ait besoin de les formuler, et de la soutenir, constamment. Alors que les complications s’accumulaient et qu’une deuxième maternité lui semblait impossible à combiner avec ce projet, il a su la tranquilliser, lui conseillant « avance maintenant au rythme d’une mère ». Cette petite phrase, dite au bon moment, témoigne de l’empathie dont est capable Simon Langlois. Christian Desîlets, ancien publicitaire de 45 ans à l’époque, raconte avec humour que Langlois a accepté d’encadrer sa thèse malgré, « ou peut-être grâce à » son profil atypique. Sa formation a commencé dès son entrée dans le bureau du sociologue qui a été déterminant dans son apprentissage doctoral. Il souligne combien son approche de la sociologie et des gens est empreinte d’humanité, ajoutant que « si les institutions sont faites avant tout des personnes qui les composent, Simon Langlois a eu un impact majeur sur l’institution de l’Université Laval ». Geneviève Lapointe est, elle, « heureuse de parler de l’humain derrière l’œuvre, ce qui fait toute la différence ». Elle remarque son « dévouement sans limite envers ses étudiants », prenant toujours le temps de les rencontrer fréquemment, de commenter leurs textes rapidement et de manière constructive, et de les accompagner, aussi bien intellectuellement que matériellement (en leur prêtant des livres !). Enfin, Matthias Rioux, qui fut député et ministre du Parti Québécois décrit un apprentissage rude sous l’égide d’un « tortionnaire génial » à la rigueur implacable. De cette aventure scientifique qui l’a « rendu meilleur », il retient finalement un « ami », pour qui il voue une « reconnaissance éternelle ».

 

Conclusion

« Ce fut une journée fort stimulante et bien émouvante » a résumé Simon Langlois en conclusion du colloque. Au-delà d’un hommage à son travail, il le voit comme « une célébration de la sociologie et des sciences sociales », sciences qui se construisent à plusieurs, en s’appuyant sur les épaules de celles et ceux qui étaient là avant, en faisant dialoguer disciplines et pays et en accompagnant les futurs chercheurs et chercheuses en formation à tracer de nouvelles routes à partir de celles déjà labourées. En effet, que ce soit l’approche choisie par Simon Langlois, les concepts qu’il mobilise, le portrait du Québec qu’il dessine ou encore les dialogues qu’il engage, tout dans sa recherche est inspirante et pertinente pour la recherche actuelle.

 

 

Bibliographie

Communications

Assogba, Yao. (2019) La portée heuristique de l’individualisme méthodologique de Raymond Boudon, Communication présenté au colloque De la Mobilité sociale à la consommation Autour de l’œuvre de Simon Langlois, Université Laval, mai.

Beaud, Jean-Pierre (2019) Ce que la science politique doit aux travaux de Simon Langlois, Communication présenté au colloque De la Mobilité sociale à la consommation Autour de l’œuvre de Simon Langlois, Université Laval, mai.

Cardinal, Linda (2019) La refondation du Canada français à l’extérieur du Québec dans l’œuvre de Simon Langlois, Communication présenté au colloque De la Mobilité sociale à la consommation Autour de l’œuvre de Simon Langlois, Université Laval, mai.

Harvey, Fernand (2019) La mesure du changement chez Simon Langlois, Communication présenté au colloque De la Mobilité sociale à la consommation Autour de l’œuvre de Simon Langlois, Université Laval, mai.

Fortin, Andrée (2019) Tendances dans l’œuvre de Simon Langlois, Communication présenté au colloque De la Mobilité sociale à la consommation Autour de l’œuvre de Simon Langlois, Université Laval, mai.

Laniel, Jean-François (2019) La dualité de la sociologie québécoise : besoins, aspirations, tendances et sociétés globales chez Simon Langlois, Communication présenté au colloque De la Mobilité sociale à la consommation Autour de l’œuvre de Simon Langlois, Université Laval, mai.

Valade, Bernard (2019) L’apport de Simon Langlois à L’Année sociologique, Communication présenté au colloque De la Mobilité sociale à la consommation Autour de l’œuvre de Simon Langlois, Université Laval, mai.

Warren, Jean-Philippe (2019) Simon Langlois comme héritier de Jean-Charles Falardeau et de Raymond Boudon, Communication présenté au colloque De la Mobilité sociale à la consommation Autour de l’œuvre de Simon Langlois, Université Laval, mai.

 

Articles

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Gurvitch, Georges (1955) « Le concept de structure sociale »,
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Gurvitch, George (1949) « Groupement social et classe sociale », Cahiers Internationaux de sociologie, 7, p. 3-42.

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Langlois, Simon (2016) « Stratification et classes sociales à Montréal, 1991-2011 ». Les Cahiers des dix, 70, p. 237–265. [http://www.societedesdix.uqam.ca/], 26 janvier 2017.

Langlois, Simon (2012) « Jean-Charles Falardeau, sociologue et précurseur de la Révolution tranquille », Les Cahiers des dix, 66, p. 201–268. [http://www.societedesdix.uqam.ca/], 8 avril 2013.

 

Chapitres d’ouvrages

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Ouvrages

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Langlois, Simon (2018) Refondations nationales au Canada et au Québec, Québec, Septentrion.

Langlois, Simon et al. (1990) La société québécoise en tendances, 1960-1990, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture.

Langlois, Simon et François Trudel (dir.) (1986) « La morphologie sociale en mutation au Québec », Montréal, Cahiers de l’ACFAS, 41.

 

Blogue

Langlois, Simon (2013) Raymond Boudon (1934-2013), sociologue et ami du Québec, Simon Langlois et son blogue, Université Laval, 12 avril 2013. [http://www.contact.ulaval.ca/blogues/]

 

Entrevue

Fraser, Pierre (2015) « Entrevue avec Simon Langlois », Bulletin du Département de sociologie, Université Laval, 16, p. 2-7, juin.