Le développement de la fin du monde : de l’anthropocène au capitalocène

Pamela Colombo

Lors de son allocution, Pamela Colombo aborde la question de la fin du monde par le passage de l’anthropocène au capitalocène. L’anthropocène serait devenu le concept environnemental de notre temps ; il désigne le fait que l’être humain est devenu une force géophysique qui a commencé à transformer la biosphère à un tel point qu’il menace la capacité de la planète à accueillir la vie (Moore 2015). Elle se questionne sur la façon dont les questions de développement doivent désormais penser l’environnement.

Une des critiques généralement amenée par l’idée de l’anthropocène tient dans le fait que toutes les populations subissent les effets néfastes de l’activité humaine, peu importe leur position géographique. Or, les faits démontrent que les dégâts sont transférés vers des populations vulnérables et leur environnement, et donc, que la crise climatique affecte très inégalement les différentes régions du monde. Ainsi, si la violence lente se définit par le fait qu’elle n’affecte pas tout le monde de la même manière, et qu’elle se fait graduelle et invisible, une action destructrice retardée, dispersée dans le temps et dans l’espace, elle peine par le fait même à être caractérisée comme étant violente (Nixon, 2001 : 2). Pour Pamela Colombo, le mode de production que l’on connait répond aux caractéristiques de la violence lente, et la notion de temporalité reste au cœur de son approche.

Pamela Colombo s’est aussi attardée sur deux types de déplacement qui surviennent avec la crise climatique. D’abord, le « déplacement sans bouger » en référence au fait de ne pas déplacer directement des populations, mais de les laisser habiter dans des environnements qui sont inhabitables. Ensuite, la notion de « réfugiés du développement », qui concernent les personnes vues comme un empêchement à la poursuite des programmes de développement. Il est déplorable que ces communautés ne sont pas prises en compte et n’ont plus les conditions de vie qui permettent de maintenir un discours du développement et progrès de la nation. Ces populations, considérées comme marginales ont souvent un lien étroit avec la terre. Un lien qui est occulté, alors que les sociétés à grande consommation dépossèdent les sociétés dites vulnérables par un processus d’accumulation (Bonneuil, 2017). Il en résulte un processus d’endettement écologique des pays industriels occidentaux au détriment d’un système communiste. Ce phénomène contribue à l’accélération de l’anthropocène, dans la mesure où les pays occidentaux récupèrent le surplus de l’éco système qualifié de « sain » des pays du sud.

Par capitalocène on entend l’idée de la fin du monde ou la fin du système capitaliste. Pour Pamela Colombo on assiste a une critique de plus en plus forte du capitalisme, et une politique de la peur est en train d’émerger. Une position plus optimiste serait de reconnaître que l’on assiste à l’effondrement du capitalisme et qu’il ne faudrait pas craindre cet effondrement mais l’accepter. De l’idée d’anthropocène pourrait ainsi émerger l’idée de la responsabilité, car après tout, c’est l’humain qui est acteur, bien qu’au cœur du système capitaliste.

 

Crise écologique, démographie… et demain la faute de l’Afrique

Richard Marcoux

La question de la surpopulation se pose de plus en plus sous l’angle écologique remarque Richard Marcoux. On assiste à l’émergence d’un discours opposant population et subsistance, ressources et environnement. L’idée d’une Terre menacée par la crise démographique serait justifiée par des écrits datant de Malthus, pour qui le lien entre population et autre chose reviendrait souvent : jadis population et subsistance, jusqu’à plus récemment population et développement durable pour aujourd’hui dire population et crise écologique.

Depuis quelques décennies, alors que l’on assiste à l’avènement du débat entre néo et anti-malthusiens, on constate que des programmes conditionnent l’aide au développement à la décroissance démographique. Et pour cause, les pays en développement, notamment Africains, seraient devenus la nouvelle cible, car « responsables » de la crise écologique de notre temps. En effet, sans grande opacité les discours néomalthusiens dominant pointent les régions qui ont une croissance démographique « très importante », voire hors norme. Pourtant, selon Richard Marcoux, une considération même sommaire des données démographiques vient contredire les arguments avancés. En retraçant l’évolution du poids de l’Afrique de 1650 à nos jours on parvient à démontrer que le poids de l’Afrique n’a cessé de diminuer jusqu’en 1850, du fait de la traite esclavagiste notamment, et que son évolution actuelle, loin d’être alarmante, peine au contraire à retrouver le poids qu’elle avait en 1750 au sein de la population mondiale. Le continent poursuivrait alors une évolution dite normale. Toutefois, les projections pour 2020 et 2050 démontrent que l’Afrique subsaharienne continuera d’être souffre-douleur, car pointée comme un danger pour l’avenir de la planète. En somme, les Objectifs du Millénaire pour le Développement devenus plus récemment les Objectifs de Développement Durables deviennent des « moyens » de pression et les objectifs d’équité sociale sont les grands absents.

Pour Richard Marcoux, si la crise écologique est réelle et incontestable, il fait un constat similaire à celui de Pamela Colombo. Certaines régions sont tenues injustement responsables de la crise actuelle. Il conviendrait toutefois de se demander qui a peur de la croissance démographique de l’Afrique et pourquoi.

 

Justice écologique : l’écosocialisme, vers une société post-capitaliste

Dan Furukawa Marques

À la question « le capitalisme peut-il nous sauver de la catastrophe écologique ? » Dan Furukawa est catégorique : les impératifs écologiques sont incompatibles avec le capitalisme et pour cause, une croissance infinie dans un monde fini est impossible (James O’Connor).

Dans la construction même du capitalisme, il y a une contradiction entre les forces de production et les conditions de production. Et de cette contradiction, il en ressort l’idée d’une explosion inévitable, car la nature est détruite par l’expansionnisme du capital. Le mode de production et de consommation actuel des pays capitalistes avancés est fondé sur une logique d’accumulation illimitée, de gaspillage des ressources naturelles, de consommation ostentatoire et de destruction accélérée de l’environnement. La réalité est de plus en plus irréfutable. Alors qu’il y a cinquante ou soixante ans émergeait le débat autour du développement durable, aujourd’hui on fait face à une insoutenabilité évidente. Le système dans son essence est problématique, et donc pour parvenir à des résultats autres, il faut penser à s’extraire de ce système plutôt que chercher à pallier les défauts qu’il présente.

De fait, si le capitalisme est un système fondé sur le maintien et l’aggravation des inégalités criantes, l’écosocialisme représenterait, selon Dan Furukawa Marques un ensemble alternatif au capitalisme. De manière générale, l’éco socialisme est une proposition radicale qui se distingue des variantes productivistes du socialisme du 20e et des courants écologiques du capitalisme vert. Décliné sous plusieurs formes, elles sont toutes en rupture avec l’idéologie productiviste du progrès et s’opposent à l’expansion infinie d’un mode de production et de consommation destructeur de la nature. On retrouve trois objectifs dans l’écosocialisme : la transformation des relations sociales, repenser ce qui est ; la transformation des modes de production et des modèles de consommation dominants, et la création d’un nouveau paradigme de civilisation.

Comme courant de pensée et d’action écologique qui fait siens les acquis fondamentaux du marxisme tout en le débarrassant de ses scories productivistes (Lowy), l’écosocialisme est une critique de l’autonomisation de l’économie, de la production comme but en soi, de la dictature de l’argent, et de la réduction de l’univers social au calcul des marges de rentabilité ou des besoins de l’accumulation du capital. Se voulant également critique du productivisme du « socialisme réel », il place en son sein les valeurs qualitatives : la valeur d’usage, la satisfaction des besoins, l’égalité sociale, la sauvegarde de la nature, l’équilibre écologique.

En reprenant les arguments de O’Connor et Loy pour qui une société écosocialiste ressemblerait à une société conduite par la planification démographique, une politique économique qui satisfasse les besoins sociaux et maintienne l’équilibre écologiques, Dan Furukawa Marques reconnaît que celle-ci doit donc être fondée sur des critères non monétaire et extra-économique.

L’utopie socialiste et écologique n’est qu’une possibilité objective. L’éco socialisme n’est pas LA solution magique, elle n’est qu’une manière de penser la transition écologique aujourd’hui. Chose claire pour Dan Furukawa Marques, on ne peut aujourd’hui se permettre de se limiter à la critique du mode de production que nous avons. C’est notre devoir d’entrevoir une idée de l’horizon politique qu’on veut faire advenir. Alors que le capitalisme va mal et qu’il semble évident qu’il doit être remplacé, on ne peut faire l’économie de la diversité des moyens de lutte contre la crise écologique.