Pendant la formation en sociologie se pose souvent la question des débouchés et des emplois. Cette question préoccupe manifestement beaucoup d’étudiant(e)s de tous les cycles, qui se sont présenté(e)s en grand nombre lors de la conférence Des sociologues qui emploient des sociologues. Pour plusieurs, la question « que faire ? » à la suite de la formation trouvera sa réponse hors des murs de l’Université. C’est pourquoi Charles Fleury et Dominique Morin ont réuni autour de la table six sociologues ayant en commun le fait d’avoir une pratique professionnelle où la sociologie est déterminante, mais qui se réalise hors de l’Université et hors du domaine de la recherche fondamentale. Les « sociologues qui emploient des sociologues » rencontrés ont accédé à des positions d’employeurs ou prennent part aux processus d’embauche et, dans tous les cas, s’identifient fortement à leur formation, dont ils reconnaissent l’importance en tant qu’elle change les manières de faire, de penser, de sentir et d’agir dans divers milieux professionnels.

Élisabeth Gauthier, directrice en biologie forestière au centre de foresterie des Laurentides du Ministère des Ressources naturelles, raconte comment sa rencontre avec la sociologie a chamboulé sa manière de concevoir la réalité. Détentrice d’un baccalauréat et d’une maitrise en nutrition, Élisabeth Gauthier a d’abord travaillé au Centre de recherche et de développement sur les aliments de Saint-Hyacinthe comme technicienne, puis dans le secteur des communications où elle faisait de la vulgarisation scientifique. Son premier contact avec la sociologie s’est fait à travers son mari, qui est sociologue de l’éducation, qui bousculait sa représentation des sciences de la nature. Elle rencontrait dans ses répliques un nouveau monde confrontant, auquel elle a résisté un certain temps : « on n’arrivait pas à s’entendre sur la nature des faits scientifiques. Il me disait qu’il s’agissait d’une construction sociale, et ça faisait souvent l’objet de disputes ! », raconte en riant Madame Gauthier. C’est en faisant son doctorat sur les fondements des controverses scientifiques avec Yves Gingras qu’elle est devenue sociologue, et qu’elle a saisi plus amplement la portée des « constructions sociales » dont son mari lui parlait.

Catherine Martineau-Delisle, conseillère principale du président au Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH), a mis l’accent sur l’importance de trouver une cause afin de donner sens à son travail, et surtout de ne pas se laisser berner par les apparences : un emploi peut permettre de mettre en pratique des acquis de la formation en sociologie, dans des domaines où parfois l’on ne s’y attendrait pas. Même si la pratique contraint parfois à se (re)plonger dans un monde du travail étranger aux manières de penser et à des considérations développées dans sa formation universitaire, Madame Martineau-Delisle est convaincue de faire un travail de sociologue : «  Il a d’abord été dur pour moi de trouver mon identité de sociologue dans le fédéral. Mais j’ai trouvé ma cause, celle des sciences humaines, et je trouve ça enrichissant. Je me bats pour cette cause, et je suis heureuse d’aller au travail », mentionne Madame Martineau-Delisle. Afin de partager et de mettre en action cette cause, il faut parler le langage des autres en ayant cette ouverture d’esprit qui permet une certaine versatilité et de communiquer ce que notre formation peut apporter de pertinent.

Afin de savoir communiquer avec les autres et de garder sa place dans le débat, il faut aussi aller chercher des connaissances autres, même si leur intégration peut être difficile, et il faut oser aborder des terrains éloignés des spécialités classiques de la sociologie. Pour Martin Vachon, conseiller en développement régional durable à la Société du Plan Nord, « la sociologie nous donne les outils pour comprendre l’autre, pour voir ce qui nous rapproche de lui et, ce faisant, on peut prendre conscience qu’on construit la société, et qu’on a une influence réelle sur le devenir de la société ». Les sociologues sont selon lui d’importants agents de changement parce qu’ils pensent autrement, et qu’ils sont des passeurs de savoirs entre différents groupes.

Appréciation des sociologues sur le marché professionnel

Étudier en sociologie, ce n’est pas se faire prendre dans une « trappe à BS » des années 1980 dont parlait Bertrand Gignac, directeur de l’Arc-en-Ciel, organisme communautaire en santé mentale de Portneuf. Si l’insertion professionnelle des sociologues était plutôt inquiétante à la fin de ses études, elle est aujourd’hui plus aisée : selon l’analyse de marché du SPLA réalisée en 2015, le taux de placement en sociologie est supérieur à 90%. Les sociologues sont prisés des employeurs pour des qualités et des perspectives spécifiques et complémentaires à celles qui apportent d’autres formations.

Pour toutes et tous les intervenant(e)s, les candidats sociologues se distinguent de ceux qui ont étudié en sciences économiques, politiques, et en anthropologie, en raison de leur rigueur méthodologique composant avec des données qualitatives et quantitatives qui fait une « différence au quotidien », de leur ouverture d’esprit, d’un sens de l’organisation, de leur capacité d’abstraction plus grande, de la capacité de distinguer les opinions des faits, etc. En revanche, tel que le mentionne Madame Martineau Delisle, les sociologues sont moins bien exercés à se « vendre », à montrer leurs compétences et leur pertinence : « Il faut parfois aider les sociologues pour les amener à dire ce qu’ils peuvent faire ! Les sociologues ont beaucoup à apporter à un niveau professionnel : ils savent faire des entrevues, des analyses critiques, ils savent élaborer une méthodologie. Et afin d’acquérir des compétences plus que des connaissances, il faut également penser à diversifier son parcours, en envisageant un parcours non-linéaire », pouvant combiner des expériences de travail et des spécialisation variées à mettre en valeur.

Madame Gauthier a également parlé de l’importance d’« élargir ses horizons de compréhension », comme le disait Martin Vachon, en pensant à des combinaisons non traditionnelles d’expertise. Les stages peuvent être de belles portes d’entrée dans le monde professionnel. Guy Fréchet, sociologue au ministère de l’emploi et de la solidarité, soutient qu’il a eu au cours de sa carrière plus de 75 étudiants en stage, ce qui a permis à certain(e)s de prolonger leur expérience en un emploi permanent. Les stages permettent de créer des contacts, de se faire connaitre, et de gagner en expérience. Faisons un clin d’œil à l’un des stagiaires de Guy Fréchette, Charles Fleury, qui est passé par l’ISQ, et qui est maintenant professeur adjoint au département.

La méthode « cheval de Troie », ou les attitudes et stratégies favorables à l’employabilité

Les sociologues sont donc prisés des employeurs en tant qu’ils ont un regard attentif et structuré sur la réalité sociale, et qu’ils sont capables de rendre compte de ce qu’ils aperçoivent. Au-delà de bien faire valoir cette base commune, d’autres conseils ont été donnés pour se trouver un emploi.

Martin Bussières, professeur et coordonnateur du département des sciences humaines du Cégep de Lévis Lauzon, rappelle l’importance de varier les cours complémentaires et les disciplines abordées dans sa formation, autant au premier qu’au deuxième cycle. Il suggère même de prendre un sujet de mémoire permettant de couvrir un sujet dans sa « généralité ». Il a mentionné à plusieurs reprises qu’il engage « des généralistes et des bons vulgarisateurs », à l’aise avec ce qui s’enseigne au cégep : sociologie générale, sociologie de la famille, des médias, méthodes de la recherche, méthodes quantitatives et intégration des acquis en sciences humaines. Martin Bussières insistait également sur l’importance de se préparer et de s’exercer à vulgariser. Lors du premier cours qu’il a donné au cégep, il a fait lire à ses étudiant(e)s un extrait de l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme de Max Weber : « J’ai pensé qu’ils allaient tout comprendre ! », mentionne Monsieur Bussières, dont l’anecdote a bien fait rire la salle. Il a dû réajuster le tir…

Il faut aussi oser postuler sur des postes où l’on ne cherche pas a priori un sociologue. Monsieur Gignac, travaillant dans le domaine de la santé mentale, reconnait que sa formation en sociologie lui a permis de penser autrement, et que trop peu de CV de sociologues lui sont envoyés. Selon lui, les sociologues ont leur place dans ce domaine, et même qu’ils seraient en demande : « On pense qu’en santé mentale, la sociologie n’a pas affaire là, mais ça manque ! On a besoin de sociologues en santé mentale, puisqu’on travaille avec des gens qui ont une culture, on veut vaincre les préjugés, affronter les tabous ».

Le meilleur moyen d’accéder à des domaines moins ouverts, c’est par la méthode du « cheval de Troie », nous dit Élisabeth Gauthier : « Il faut apprendre le langage des autres disciplines et de l’industrie, il faut connaitre leurs enjeux également. Apprenez à vous exprimer clairement et à soigner votre écriture, et les retombées pourraient être plus importantes que ce que vous vous imaginiez ». Une fois qu’on s’y retrouve, depuis l’intérieur, il s’agit de se présenter tranquillement, de montrer ce que l’on sait apporter et contribuer à changer les choses pour le mieux.

Une expérience riche et qui transforme

Tous les panélistes ont avoué leur « parti pris » pour les sociologues, pour ce qu’ils offrent et ce qu’ils sont. Ils sont également tous attachés à la formation qu’ils ont reçue en sociologie, puisqu’elle a chamboulé leurs manières d’être, de faire, de penser, de sentir et d’agir. La sociologie nous change, et elle permet de changer ce qui est autour de soi. Le marché du travail oppose certes des attentes et des contraintes aux aspirations particulières que peuvent avoir des finissants en sociologie, mais il faut retenir de cette rencontre que leurs connaissances, leurs compétences et leurs manières de penser particulières sont appelées à rendre des services très appréciés auxquels on ne s’attend pas toujours.