Le Département de sociologie était à l’honneur lors de cette remise de prix, ayant souligné le travail de plus d’une dizaine de ses étudiants. La liste des récipiendaires se retrouve à la fin de cet article, jointe à quelques photos de la cérémonie.

Lors de cette soirée, le Département a eu le privilège de désigner une de ses diplômées, la professeure émérite Maria De Koninck, à titre de présidente d’honneur de la cérémonie. Pionnière des études féministes au Québec, Madame De Koninck a complété ses études doctorales et de baccalauréat au Département de sociologie de l’Université Laval. Fière de ses racines en sociologie, elle a rappelé dans son allocution son engagement vis-à-vis la recherche, qui est son instrument premier afin de faire une différence socialement. Ce type de recherche ne se borne pas à un « sujet » ou encore à une « spécialité », mais il s’inscrit plutôt dans une lignée, celle des recherches féministes, tout en ayant le souci de conserver son regard de « généraliste ».

La sociologue, dont vous pouvez lire en fin d’article le texte de son allocution, nous rappelle à une mission de grande envergure pour toutes et tous en cette rentrée scolaire !

Voici les récipiendaires de la Soirée Prix d’excellence 2015-2016 de la Faculté des sciences sociales, le 9 mai 2017. Félicitations à tous et toutes !

Meilleur dossier de doctorat avec thèse : Emiliano Scanu

Meilleur dossier de maîtrise avec mémoire : Louis-Pierre Beaudry

Meilleur dossier de maîtrise avec stage : Jean-Philippe Beauregard (mention)

Prix Georges-Henri-Lévesque de l’ACSALF : Louis-Pierre Beaudry

Mention d’honneur du doyen au baccalauréat

Étienne Beaudry-Soucy
Samuel Bédard
Timothy Earle
William Girard
Annie Marois
Camille Thériault-Marois

Bourse Hydro-Québec : Catherine Dussault

Bourse d’accueil à la maîtrise du Fonds Jean-Charles-Falardeau

Catherine Dussault
Nicolas Pelletier

Bourse FARE : Jonathan Riendeau

Bourse du Fonds Jean-Guy Paquet : Timothy Earle

Bourse de recherche au doctorat – BESC Vanier : Pierre-Élie Hupé

Bourse de doctorat du CRSH : Jean-Philippe Beauregard

Bourse de maîtrise du CRSH

Catherine Dussault
Pierre-Olivier Paré
Nicolas Pelletier

Allocution de Madame Maria De Koninck

Bonsoir,

Je tiens, en premier lieu, à remercier M. Morin d’avoir pensé à moi pour présider cette cérémonie, me donnant ainsi une occasion unique de partager avec vous, qui êtes tournés vers l’avenir, une passion qui a traversé ma vie, la sociologie. Je le ferai en évoquant des moments de mon cheminement qui me portent à croire que votre choix des sciences sociales est un choix plein de promesses.

Je souhaite illustrer ici trois dimensions qui caractérisent, à mes yeux, la profession de sociologue : la diversité des expériences qu’elle nous permet de vivre, les possibilités qu’elle offre de mieux connaître et comprendre l’Autre et celles d’agir dans son milieu et dans d’autres milieux.

Ma formation initiale à l’université m’a façonnée comme sociologue beaucoup plus que je ne l’avais cru lorsque j’ai obtenu mon premier diplôme. Il y a d’abord eu la qualité de certains enseignements. Des professeurs m’ont marquée intellectuellement en ouvrant des horizons et soulevant des questions exigeantes. Par exemple, Fernand Dumont posant cette question : Les sociologues doivent-ils (aujourd’hui, il ajouterait, sans aucun doute, et elles) descendre dans la rue ? Le rôle des intellectuelles… Celles et ceux d’entre vous qui connaissez le film La sociologie est un sport de combat sur Pierre Bourdieu, savez combien cette question peut hanter.

Une autre influence marquante de mes premières années de formation provient du travail en équipe. Ce que j’ai appris au contact des autres ! Je me souviens de ces collègues avec qui préparer un travail était un moment de pur bonheur. Débats, échanges … dans le respect. À noter que nous n’étions alors que quelques femmes. J’ai eu beaucoup de chance. J’ai étudié avec Fernand Harvey, Maurice Angers, Simon Langlois, Marcel Simard et le regretté Gilles Houle pour n’en nommer que quelques-uns, qui ont tous des réalisations remarquables à leur actif. L’apprentissage du travail en groupe et la richesse de la confrontation de points de vue, vécus alors, expliquent pourquoi j’ai par la suite toujours aimé m’associer à d’autres pour écrire et mener des recherches et pourquoi j’ai privilégié la multidisciplinarité.

Ce n’est toutefois que quelques années après avoir quitté l’université, une fois devenue professeure de sciences sociales au niveau collégial, que j’ai compris que la sociologie pouvait être autre chose qu’un gagne-pain ou une pratique disciplinaire intéressante. J’ai alors eu l’occasion de monter un cours en sociologie de la famille. Mes intérêts féministes, m’ont amenée à inclure dans ce cours une composante sur les rapports entre les sexes, me permettant de développer une analyse qui dépassait les constats, découlant d’observations et d’expériences personnelles, pour documenter l’inégalité qui définissait les rapports entre les sexes.

Dans ce contexte d’enseignement collégial est né le goût de transmettre non seulement des connaissances mais des instruments intellectuels et d’ainsi favoriser chez les jeunes ce que permettent les sciences sociales soit, notamment, l’analyse critique, le refus des idées reçues, la capacité de repérer les stéréotypes et de documenter la construction sociale des inégalités.

L’étape suivante a renforcé ma conviction que la sociologie et les sciences sociales offrent des possibilités d’appréhension et d’analyse incomparables de notre univers, ainsi qu’un potentiel indiscutable d’agir sur les réalités qui nous entourent. J’ai été embauchée comme professionnelle de recherche au CSF où j’ai vécu une expérience collective unique, celle de contribuer à une politique d’ensemble visant à changer le Québec, de façon globale, en matière de rapports entre les sexes. Tout un programme ! Mais un programme qui n’était pas irréaliste, car il reposait sur une histoire, méconnue mais non moins réelle, de femmes remarquables et sur le travail acharné de collectifs, de groupes de femmes et d’associations féminines qui avaient mis la table pour que le Québec avance.

En 1978, nous avons produit cette politique intitulée Pour les Québécoises Égalité et indépendance, dans laquelle nous documentions à l’aide de nombreuses statistiques et informations, analysées sous l’angle des rapports sociaux, la situation dans les domaines de l’éducation, de la santé, du travail, de la justice, de la culture etc. J’étais responsable du dossier santé. L’équipe de recherche était constituée de jeunes femmes ayant étudié, pour plusieurs, en sciences sociales.

Cette politique d’ensemble sur la condition féminine que nous avons menée à bien et qui a été adoptée par le gouvernement, a provoqué de nombreux changements parce qu’elle a été utilisée par les groupes de femmes, par des militantes, par les syndicats, notamment, pour revendiquer et obtenir ces changements nécessaires pour construire une société plus égalitaire.

Mon expérience dans ce cadre m’a convaincue définitivement que la sociologie et les sciences sociales étaient des instruments privilégiés pour provoquer des changements sociaux lorsque les travaux produits le sont avec des partenaires qui peuvent par la suite les utiliser dans leurs interventions sur le terrain.

J’ai poursuivi dans cette veine et ajouté à ma démarche sociologique, une démarche éthique car en menant des recherches en matière de santé, je me suis rapidement heurtée à des sujets mettant en cause des valeurs sociales et provoquant des remises en question de valeurs partagées. Le cheminement  sociologique et le cheminement éthique se complètent si bien lorsqu’il s’agit de comprendre ce qui anime une société.

Les travaux de recherche auxquels j’ai participé dans la Fonction publique m’ont ramenée à l’université. Notamment, des travaux en éthique sur, ce que nous appelions à l’époque, les nouvelles techniques de reproduction, m’ont convaincue que je devais acquérir plus d’expertise pour approfondir ma compréhension d’un changement social en cours. Un autre impératif m’a également poussée à retourner sur les bancs de l’école, celui de m’approprier tout ce qui était disponible pour consolider le caractère rigoureux de mon travail intellectuel. La rigueur est essentielle à toute démarche scientifique. Ajoutons que ce caractère essentiel devient manifeste lorsque l’objet des travaux comporte des dimensions politiques par rapport auxquelles il faut savoir prendre du recul. 

L’objet de ma thèse de doctorat, réalisée après 14 ans sur le marché du travail, était la pratique de la césarienne dont les taux atteignaient des sommets record. L’angle d’approche théorique était celui du changement social. C’est cet objet, soit l’analyse d’une pratique en santé et mon expertise en santé des femmes qui expliquent mon port d’attache au département de médecine sociale et préventive lorsque je suis devenue la première titulaire de la Chaire d’étude sur la condition des femmes (maintenant Chaire Claire Bonenfant), et où j’ai mis mes énergies à soutenir le développement de recherches féministes.

Une sociologue dans une Faculté de médecine était alors une exception. Elle l’est toujours, même si plus de disciplines issues des sciences sociales sont dorénavant représentées dans les facultés de santé et que leur apport y est de plus en plus reconnu. Les perspectives qu’apportent les sciences sociales sur la santé physique, psychologique et sociale sont devenues incontournables, maintenant que l’on reconnaît la complexité de la santé humaine, qu’elle soit considérée sous un angle individuel ou sous un angle collectif. La construction sociale de la santé ne peut être ni comprise ni documentée sans l’apport des sciences sociales. Il en va de même de sa prise en charge. Que l’on s’intéresse au développement de la maladie, à sa propagation, à la façon de la traiter et de la prévenir, on ne peut faire abstraction des contextes et des rapports sociaux. Et, tout le champ de la santé publique doit nécessairement intégrer des connaissances sur les rapports sociaux et l’organisation des sociétés.

C’est aussi en tant que sociologue que j’ai pu travailler dans des projets d’intervention et de recherche en santé des femmes dans des pays dont les conditions sont fort loin des nôtres. Encore ici, les sciences sociales nous fournissent des instruments qui nous permettent d’aller à la rencontre des expériences vécues dans ces sociétés. Les sciences sociales sont utiles pour contextualiser des pratiques. Mieux comprendre les composantes socioculturelles et économiques des états de santé et des pratiques en santé, et proposer l’adoption de pratiques différentes, lorsque cela est jugé pertinent, sont des démarches vouées à l’échec sans les instruments intellectuels nécessaires.

J’ai ainsi pu travailler avec des collègues en Afrique pour réduire la mortalité maternelle, améliorer la santé de la reproduction, lutter contre le VIH-Sida en faisant appel à tous les outils acquis lors de ma formation et au cours de mes enseignements et travaux de recherche. Expérience d’une telle richesse ! S’approcher des autres, les écouter, tenter de les comprendre, quelle expérience humainement plus enrichissante peut-on souhaiter ? Puis, en collégialité tenter de mettre à profit les connaissances acquises avec les moyens disponibles.

Voilà. Vous comprenez sans doute à ce moment-ci combien je suis fière d’être sociologue, combien je pense que la sociologie et les autres disciplines des sciences sociales jouent un rôle incontournable dans la compréhension de notre vie collective, dans la construction de notre réalité sociale et même dans celle de milieux différents du nôtre. Les sciences sociales nous donnent un pouvoir pour agir en tant que membre de la « société » humaine, à différentes échelles. Je ne regrette pas mon choix et je suis reconnaissante à celles et ceux qui m’ont formée de m’avoir permis de vivre une vie professionnelle passionnante et de pouvoir encore mettre mon grain de sel pour participer à notre vie collective.

Mon regret aujourd’hui est que la spécialisation, qui présente de nombreux atouts et fait progresser les sciences sociales, prenne un tribut, comme le regard à travers une loupe nous permet de voir des choses invisibles autrement mais ne nous permet pas d’avoir une vue d’ensemble. La pertinence d’une expertise privilégiant une approche générale en sciences sociales, est de moins en moins reconnue. Pourtant, les réalités sociales sont si complexes qu’il nous faut, au-delà de la compréhension fine de leurs composantes, un regard englobant permettant de les considérer dans leurs interactions. Je souhaite qu’on remonte un peu le courant et valorise de nouveau l’expertise soutenant ce regard.

Et vous les plus jeunes ? Le boulot vous attend dans tant de milieux, tant de domaines ! À cette heure :

1) où les valeurs marchandes, au nom d’un progrès dont la définition est de plus en plus obscure, semblent remplacer les valeurs humaines, telle la dignité;

2) où les inégalités se creusent sur une planète dont l’avenir est menacé par des modes de vie protégés au nom de la valeur de liberté, dont la définition est pour le moins galvaudée;

3) où le prisme des droits individuels, bien justifié par ailleurs, peut toutefois facilement nous faire perdre de vue la recherche du bien commun;

4) où le regard, dit progressiste, semble souvent mieux repérer et servir les besoins issus de nos différences que ceux qui nous sont communs ainsi que le bien général;

et enfin 5) où la technologie envahit nos vies sans que nous nous assurions que nous en resterons les maîtres.

Les sciences sociales ont un rôle déterminant à jouer.

Comprendre les développements sociaux et en clarifier les enjeux, mettre en lumière les rapports de pouvoir souvent très subtils, soutenir la construction et l’expression d’une parole citoyenne éclairée pour une vie réellement démocratique, remettre à l’ordre du jour la recherche du bien commun, voilà quelques-uns des nombreux défis qui vous attendent, expertes et experts en sciences sociales. Le seul conseil que je me permets de vous donner est de ne jamais oublier qu’il n’y a rien de plus noble que de mettre son savoir au service de l’amélioration des rapports humains.

Maria De Koninck

9 mai 2017