Patrick Ducharme

Patrick Ducharme cumule aujourd’hui 12 ans d’expérience dans l’enseignement de la sociologie, d’abord au cégep de Limoilou et désormais à celui de Lévis. Il est également délégué syndical et membre de plusieurs comités au cégep, et s’implique aussi dans le milieu communautaire, notamment au sein de deux conseils d’administration.

Comment avez-vous choisi la sociologie?

J’avais amorcé un baccalauréat en géographie, mais me suis rapidement aperçu que je préférais le côté humain à la géomorphologie ou la géologie. De plus, j’ai toujours eu une sensibilité aux réalités sociales, peut-être en lien avec le bénévolat que j’avais fait précédemment en alphabétisation. J’y vois une façon de déjouer les interprétations individualistes de nos comportements.

Quel est votre parcours académique et comment êtes-vous parvenu à enseigner au cégep?

Après un DEC en cinéma à Ahuntsic, j’ai obtenu une majeure en sociologie et une mineure en géographie politique à l’UQAM. J’ai poursuivi au 2e cycle et ai obtenu une maitrise en sociologie économique (UQÀM). Quelques mois après avoir amorcé mon doctorat, j’ai été embauché comme professeur de sociologie au collégial.

Lorsque j’ai quitté Montréal, je me suis retrouvé sans emploi à Lévis. J’ai envoyé mon CV partout dans les cégeps de la région de Québec. Je faisais mon doctorat tout en touchant mon chômage. Un congé de maladie m’a ouvert une porte à Limoilou, où je ne connaissais personne. J’ai simplement fait une bonne entrevue ! Mais c’est ce que je voulais faire depuis longtemps.

En tant qu’enseignant au cégep, vous initiez souvent vos étudiants au premier contact avec la sociologie… Comment les intéressez-vous à la discipline?

Il faut être à la fois pertinent et intéressant, alors j’utilise la perspective de la sociologie de la déviance. C’est cool et sympathique, et on peut tous s’y identifier d’une manière ou d’une autre. Les thèmes ne sont jamais ennuyeux (délinquance, itinérance, drogue, criminalité, et même maladies mentales et handicaps). De plus, j’aime leur préciser dès le départ que dans leur carrière, peu importe leur métier, ils devront être sensibles à des réalités marginales, tout en évitant d’apposer des étiquettes sur des gens qu’ils ne connaissent pas.

Un projet, une anecdote ou des temps forts de votre enseignement à nous communiquer?

Le cours synthèse (DIASH) qui s’est donné au Pérou avec une quinzaine d’étudiants pendant 3 semaines a été formidable, une belle expérience humaine et professionnelle. Les fois où mes étudiants ont voulu aller faire du bénévolat dans les organismes communautaires avec moi, et ce, de manière tout à fait volontaire. Ça permettait de les connaitre sous de nouvelles facettes et de leur montrer la vie démocratique. Enfin, je conserve tous les messages personnels dans mes archives qui me rappellent l’impact que mes cours ont pu avoir sur mes étudiants. Je n’en parle pas beaucoup autour de moi, par modestie, mais je ne pourrais pas faire ce métier sans ça, je crois. Certaines complicités en classe demeurent des moments magiques. De me faire dire que j’ai été le professeur préféré de leur parcours (c’est arrivé à quelques reprises), c’est spécial également.

Remarquez-vous une évolution de l’intérêt des étudiants pour la matière?

Pour mes cours, je ne vois pas d’évolution, ça allait bien dès le départ, car j’ai un côté jeune et on m’a toujours dit que je comprenais bien les étudiants. Mais plus ça va, plus les étudiantes sont marquées par le contenu théorique de mes cours, par les thèmes sensibles choisis, par les études de cas, etc. Les commentaires de fin de session, ne touchent plus seulement ma personnalité, mais surtout comment j’ai réussi à les bousculer avec le contenu des cours. Aussi, je crois que ma rigueur et toutes les démarches que je fais pour travailler mes cours, fortement documentés et constamment remis à jour, sont appréciées. Enfin, le choix des lectures est primordial ; les livres au cursus doivent être pertinents pour l’étudiant, et idéalement être d’une lecture agréable, pas juste un caprice du professeur. Et j’ai réussi à dénicher deux livres qui sont plus que satisfaisants pour eux.

Relevez-vous des contraintes et/ou des avantages propres à enseigner au cégep?

Les contraintes, je n’en vois pas pour le moment, à vrai dire. En fait, je ne vois que des avantages :  belles conditions, bel horaire, bon salaire, public parfait, et une grande liberté dans nos sujets qui nous permet d’apprendre constamment et de nous inscrire dans notre communauté. La routine n’existe pas dans ce métier.

Auriez-vous des conseils pour les jeunes chercheurs qui aimeraient enseigner au cégep?

Les chercheurs doivent savoir que leurs recherches vont servir dans leur enseignement au cégep. Les étudiants aiment quand on utilise nos expériences concrètes dans les cours, ça montre l’utilité de la matière, en plus.

Quelle(s) leçon(s)/apprentissage(s) tirez-vous de votre expérience d’enseignant?

Nous devons appliquer ce qu’on enseigne. Comme j’enseigne la sociologie, c’est facile de se déculpabiliser et de dire que notre enseignement est politique en soi. Or, c’est faux. Il faut, à la, sortie du cégep, appliquer ce qu’on enseigne. Voilà pourquoi je me suis impliqué beaucoup dans le communautaire, ce que je considère être une vie démocratique. Enseigner une pensée critique ne sert à rien si on ne l’accouple pas à une action citoyenne. C’est ce que l’enseignement m’a appris. D’autre part, il faut être à l’écoute des besoins des étudiants. Ce que je veux dire, c’est « est-ce que notre enseignement est utile ? » Pas utile au sens économique, mais au profit de l’épanouissement. Ma sociologie doit en être une de l’action. Un apprentissage ne sert à rien s’il n’améliore pas la vie citoyenne de l’individu.

Patrick, vous êtes également chercheur… sur quoi portent vos travaux?

De manière générale, mes travaux concernent la santé mentale, la consommation de drogue, le milieu communautaire, sociologie de la déviance et sociologie des sciences. J’ai déjà fait une enquête sur des travailleuses immigrées de Lévis. Aussi, j’ai fait de la recherche pour le livre Paradis sous terre, d’Alain Deneault, ainsi qu’un chapitre dans le livre Dans le rouge. L’endettement des ménages québécois, sous la direction du géographe Sébastien Rioux.

Quelles sont d’ailleurs les conclusions de l’enquête sur l’endettement des ménages ?

Mon étude portait sur l'origine de l'arrivée massive de cartes de crédit chez les Canadiens et Québécois, ainsi que sur les trois stratégies de contrôle social des institutions financières, soit : la surveillance numérique des transactions, la normalisation de l'endettement et des taux d'intérêts, ainsi que les examens par la cote de crédit. J'ai baptisé cela le panoptique financier, en référence à la théorie du panoptique de Michel Foucault.

Avez-vous un projet de recherche en cours?

En dilettante, je rédige deux livres (qui sont en forme embryonnaire encore) : une sociologie de l’émancipation (à l’usage du citoyen, pas juste les collégiens), puis une introduction à l’œuvre d’Alain Deneault. D’autre part, je fais une série d’entrevues, avec la méthode de l’induction analytique, avec des introverti.e.s, afin de connaitre les perceptions et les interactions des introvertis dans une culture extravertie ; ceci sera enseigné dans mon cours d’introduction à la sociologie (et peut-être un segment dans ma sociologie de l’émancipation).

Pourquoi aborder ce thème précisément ?

Je suis moi-même introverti, et c'est parfois difficile de vivre avec ce tempérament dans une société qui favorise le bruit et la parole. Aussi, j'ai appris que 25 à 40% des gens entrent dans cette catégorie, et c'est en parlant autour de moi que j'ai découvert que plusieurs de mes amis et connaissances étaient introvertis - mais n'en parlaient jamais ! J'ai donc amorcé une série d'entrevues et c'est fascinant d'entendre ceux qu'on n'entend jamais […].

Relevez-vous certains défis, obstacles et/ou avantages à mener de front l’enseignement au cégep et la recherche?

C’est un défi de faire de la recherche au cégep, car je ne suis ni libéré, ni subventionné pour le faire. Ça doit être dans mes temps libres, et ça passe souvent en deuxième ou en troisième dans mes priorités, malheureusement. Ça demeure donc des projets lents.

Des conseils aux jeunes chercheurs qui aimeraient enseigner tout en poursuivant leurs recherches ?

Conservez vos contacts pour faciliter les démarches et soyez conscients que nous ne sommes pas libérés (en fait c’est rare) pour le faire. Faites-vous un horaire et donnez-vous des ultimatums, sinon vous n’y arriverez pas.

En dehors de la sociologie avez-vous des passions?

Lecture (je lis beaucoup de sciences humaines et de sciences de la nature, pour le plaisir), baseball et hockey (j’y joue trois fois par semaine), implication communautaire. J’ai aussi deux enfants qui m’occupent beaucoup !

Que pourrions-nous pourrions vous souhaiter pour la suite de votre parcours?

Plus de libérations pour écrire ! C’est ce qui me manque le plus en ce moment. Pour le reste, je fais un métier fabuleux.


[1] Cours « Démarche d'intégration des acquis en Sciences humaine » 

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Isabelle Morin

Titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en sociologie (ULaval), Isabelle Morin est professeure de sociologie au Cégep Limoilou et coordonnatrice du programme de Sciences humaines depuis 4 ans.  Elle est également membre du conseil d’administration du Réseau des Sciences humaines des collèges du Québec (RSHCQ) et du comité-conseil (ministère, profs de cégep et d’université).

Pourquoi avez-vous choisi la sociologie ?

J’ai le sentiment que c’est la sociologie qui m’a choisie!  Je ne me souviens pas clairement du processus décisionnel, mais je sais que j’ai toujours été politisée et à la recherche de justice sociale et d’égalité.  Aussi, j’ai une prof de sociologie extra au cégep (de Limoilou d’ailleurs) qui a marqué mon parcours.  Cependant, je pense que j’aurais été aussi très heureuse en travail social, en politique, ou en économie sociale.

Vous enseignez depuis 2007, comment êtes-vous parvenu à enseigner au cégep?

J’ai commencé ma carrière au Centre d’études collégiales de Montmagny où j’étais la seule prof de socio… ce qui fût une excellente école!  Et comme tous les précaires, j’ai enseigné dans plusieurs cégeps à la fois! Néanmoins, je considère cette précarité relativement brève comme nécessaire dans l’apprentissage de la profession.  Elle oblige l’adaptation, l’ouverture, la souplesse. 

Comment présentez-vous la sociologie aux étudiants?

Je pars d’eux, de leur réalité, de leurs besoins, de leur vécu.  J’utilise toujours des exemples qui les concernent (suicide, santé mentale, réussite de leurs cours, hyper sexualisation, téléréalité etc.).  Ils choisissent aussi des thèmes afin de les impliquer et leur démontrer que la sociologie peut toujours contribuer à leur compréhension du monde, de leur monde.

Je commence toujours mon cours en leur demandant : la femme que je suis actuellement, avec mes désirs, mes ambitions, mes habitudes de vies, mes tatous, mes paroles… serais-je la même si j’étais née au Québec en 1940? Ou aujourd’hui ailleurs sur la planète? Ils comprennent alors que nous parlerons de l’impact du « nous » sur le « je ».  À cet âge, les sortir du « je » est déjà un pas énorme.

Avez-vous le souvenir d’une expérience qui aurait marqué votre carrière d’enseignante? 

Dans le cours d’introduction, les étudiants doivent s’initier à la technique d’observation et ils doivent choisir un lieu dans un milieu favorisé et un milieu plus défavorisé.  Par exemple, certains vont dans des épiceries, des centres commerciaux, des quartiers, des écoles… ils constatent alors l’énorme poids du statut socioéconomique.

Encore, pour leur faire « vivre » la mobilité sociale, je les fais jouer au jeu de cartes « le trou de cul ».  Ils jouent 4 tours et doivent cumuler des points : 2 points pour la position de la présidence et 1 point pour la vice-présidence.  Les autres positions n’ont rien.  Je leur dis que j’ajouterai ces points à la note finale… bien sûr que c’est faux, mais ils ne le savent pas!  C’est très très très apprécié!  C’est incroyable comment ils comprennent le concept!

Relevez-vous des contraintes et/ou avantages propres à enseigner au cégep?

La disparité des jeunes est à la fois une occasion et une contrainte car elle demande à l’enseignant de s’ajuster en permanence ou encore de tenir compte des sensibilités de chacun.

Les approches diverses entre professeurs d’un même programme peuvent être difficiles à gérer : avoir une approche programme globale n’est pas une tâche simple! 

Par ailleurs, un des éléments que j’adore est le fait que nous pouvons nous impliquer dans plusieurs projets, comités, avoir des libérations pour de la formation, de la recherche, etc.

Auriez-vous des conseils pour les jeunes chercheurs qui aimeraient enseigner au cégep?

En trois points je dirai:

  1. Avoir  une posture d’ouverture et comprendre à qui on enseigne, dans quel but et par quels moyens on peut y arriver.
  2. Comprendre que ce qui permet de faire apprendre passe avant tout par une relation à l’autre.  Plus les étudiants se sentent en confiance, plus ils sont ouverts à apprendre, à participer, à se faire aider! 
  3. Que le principal, n’est pas notre discipline, mais le processus d’apprentissage et de maturation! Il faut donc de l’humilité, de l’humour et de la bienveillance en masse! 

Quelle(s) leçon(s) tirez-vous de votre expérience d’enseignante?

Avec l’expérience, je comprends qu’avoir des connaissances et les transmettent c’est facile.  Avoir des connaissances et les faire apprendre, ça c’est complexe!  Bien des profs sont conscients de l’« effet prof » et il y a un fort pouvoir dans l’apprentissage !  Nous jouons un rôle de modèle plus fort que nous ne l’imaginons.  C’est précieux. 

La confiance en nous nous permet de sortir du cadre de nos contenus pour explorer d’autres avenues sans se sentir insécurisés.

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Gabriel Larouche

Gabriel Larouche est enseignant en sociologie au cégep de Sainte-Foy depuis l’automne 2019.

Pourriez-vous nous présenter votre parcours académique

J’ai entamé les sciences humaines un peu par hasard au cégep après quelques années sans avoir été aux études. J’avais décroché du secondaire, alors j’ai dû le terminer à l’école aux adultes. Le cégep a été la seule étape « normale » de mon parcours académique. À l’université, j’ai commencé le baccalauréat en sociologie à l’UQAM en 2009 et je l’ai terminé seulement en 2017, année où j’ai commencé la maitrise (que je n’ai toujours pas terminé). En 2011-2012, j’ai arrêté le baccalauréat et suivi une formation rapide (TESOL) pour enseigner l’anglais à l’étranger et j’ai habité une année en Chine à Ghanzhou où j’ai enseigné l’anglais à des enfants de 2 à 15 ans. Ça a été l’occasion de mettre à l’épreuve mon désir d’enseigner dans un contexte un peu particulier. J’ai aussi commencé, environ en même temps que la maitrise en 2017, le microprogramme d’enseignement aux études postsecondaires que j’ai terminé pendant que j’étais embauché dans différents cégeps. Pendant tout mon parcours, j’ai essayé d’accumuler quelques expériences liées à l’enseignement dans différents contextes (tuteur de français au cégep, aide au devoir dans des organismes pendant l’université, tutorat rémunéré, auxiliaire d’enseignement, etc.). Ma maitrise est toujours en cours, quoique très lente, comme les autres étapes de mon parcours.

Comment avez-vous choisi la sociologie?

La sociologie m’apparaissait être la discipline la plus « pluridisciplinaire », et donc mon choix s’est arrêté sur celle-ci. Je me considère plus « science humaineux » que sociologue.

Comment êtes-vous parvenu à enseigner au cégep?

Ma première embauche était au cégep de Shawinigan pour enseigner un cours comodal à La Tuque (pré-COVID). J’ai acheté un véhicule et j’ai roulé 25000 kilomètres pendant une session entre La Tuque, le cégep de Shawinigan et mon appartement de Montréal.

À l’époque ma stratégie était d’envoyer mon CV un peu partout « au cas où ». C’est dans ce contexte que j’ai été appelé un mercredi pour une entrevue le lendemain matin (je pense qu’un candidat s’était désisté). J’ai eu la chance d’être embauché et j’ai pu commencer à expérimenter avec l’enseignement au cégep avec une petite classe (5 étudiantes en personne, une à distance en Gaspésie). Pendant la même session, j’ai remplacé un enseignant à Shawinigan et j’ai fait plusieurs allers-retours entre ces différentes villes.

L’année suivante, le contexte COVID était en place et je n’allais pas avoir de travail à Shawinigan. Pendant l’été, j’ai été appelé pour une entrevue à distance au Cégep de Sainte-Foy et j’ai été retenu. Je me considère très chanceux étant donné mon parcours atypique. Je me souviens que j’expliquais, dans ma première lettre de présentation, que j’avais été un décrocheur au secondaire, ce qu’on m’avait par la suite suggéré de retirer après ma première embauche.

En tant qu’enseignant au cégep, vous êtes initiez souvent le premier contact avec la sociologie. Comment introduisez-vous la sociologie aux étudiants?

Les étudiants auront, pour la plupart, un seul ou deux cours de sociologie pendant toute leur vie. C’est toujours un défi d’identifier ce qui peut être pertinent, marquant ou utile pour eux. De plus, puisque la sociologie est contributrice dans plusieurs techniques, il faut toujours adapter les cours; ce qui est pertinent en sciences humaines ne l’est pas nécessairement pour des étudiants en sciences de la santé.

Pour introduire la discipline, j’y vais un mot à la fois, et j’essaie d’éviter les locutions obscures ou savantes qui ne sont que du jargon disciplinaire. La sociologie en est particulièrement friande. Trouver un langage clair et construire des définitions pédagogiques sont, à mon avis, la première tâche de celui qui veut enseigner au niveau collégial. On ne parle pas ici de simplification, mais bien de transposition didactique.

Une autre stratégie importante est de faire remarquer rapidement qu’il n’y a pas « la sociologie », mais « les sociologies ». Par exemple, un cours d’introduction en sciences humaines présente normalement 3 grandes approches « classiques » (fonctionnalisme, interactionnisme, sociologie critique), mais la distinction entre celles-ci n’est pas toujours évidente pour les novices. Personnellement, je changerais le titre des cours à travers la province pour faciliter cette distinction (Introduction aux sociologies, par exemple).

Il y aurait tellement d’autres choses à dire sur l’exercice pédagogique… Je ne sais plus sur quoi mettre l’accent! Je crois que reproduire ce que l’on vit à l’université dans les collèges est une erreur importante. L’enseignement universitaire en sociologie m'a paru être plus une démonstration savante qu’un exercice pédagogique, et il faut comprendre rapidement que si ce type d’enseignement peut bien fonctionner avec certains étudiants (notamment nous-mêmes puisque nous étions intéressés et capables d’apprendre dans ce contexte), la majorité des jeunes au cégep n’auront pas une expérience positive si on reproduit le modèle universitaire.

Relevez-vous des contraintes et/ou des avantages propres à enseigner au cégep?

L’opportunité numéro 1 est le contact entre la sociologie et la société. Il faut comprendre que très peu d’étudiants choisiront la sociologie à l’université, mais il est possible de leur faire partager un intérêt pour un regard spécifique qui est celui du sociologue, regard qui peut servir partout.

Des conseils pour les jeunes chercheurs qui aimeraient enseigner au cégep?

Se former en pédagogie, être indulgent avec soi-même au départ (on ne peut pas être excellent tout de suite…), éviter de reproduire l’enseignement universitaire au cégep (il ne convient qu’à une minorité d’étudiants).

Sur quoi portent vos travaux de recherche?

Mon mémoire de maîtrise porte sur les liens entre l’éducation et les croyances conspirationnistes, notamment au sujet de la vaccination. Pour le dire simplement, je veux voir (et expérimenter, dans le cadre de mon enseignement) ce qui peut permettre aux étudiant.e.s de « mieux réfléchir », ou du moins ce qui peut leur permettre d’éviter les arguments ou les croyances sans fondements valables. À ce sujet, je crois que l’éducation au Québec fait déjà plusieurs bons coups.

L’idée est de voir si certains parcours d’éducation prémunissent mieux les étudiant.e.s contre les pensées conspirationnistes en ce qui concerne la vaccination. J’inscris ma recherche dans la continuité des réflexions effectuées par Gérald Bronner sur les croyances, qui lui effectue la plupart de ses travaux dans un contexte français où l’hésitation à la vaccination est plus importante qu’ici. À ce titre, un rapport récent a été formulé Les lumières à l'ère numérique.

Une idée plutôt commune serait que les personnes qui croient en différents complots ou pseudosciences le font parce qu’il ne sont pas assez éduqués. Pourtant, les observations sur les croyants mènent à penser que le lien entre l’éducation et une pensée rationnelle « juste » n’est pas si évident. Plusieurs personnes très éduquées entretiennent différentes croyances saugrenues à propos de la vaccination. Avec pour objet le populisme, mon directeur de maitrise, Frédérick Guillaume Dufour, a écrit récemment un article à ce sujet pour The Conversation.

Les travaux sur les conspirationnistes ou les croyances pseudoscientifiques ne font normalement pas de distinction entre les différents champs d’études. Mon hypothèse de recherche serait la suivante : certains domaines illustrent mieux les modalités de l’explication scientifique et amènent donc les étudiant.e.s à faire plus confiance aux autorités scientifiques. Je voudrais donc comparer l’adhésion à différentes croyances chez des étudiant.e.s de différentes disciplines au cégep, et voir si ces adhésions sont plus ou moins fortes en fin de parcours selon les disciplines.

Selon vous, est-il possible de mener de fond l’enseignement au cégep et la recherche?

Pour moi, il n’est pas vraiment possible de travailler à temps plein et poursuivre la recherche, mais peut-être que certains y arrivent…

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Olivier Bernard

Olivier Bernard enseigne au Campus Notre-Dame-de-Foy, il est Professeur associé au département de sociologie de l’Université Laval et chercheur au Centre RISC. Il est également directeur de collection aux PUL.

Pouvez-nous présenter votre parcours académique ?

Après l’obtention d’un certificat (TELUQ) et d’un baccalauréat en sociologie (U.Laval), j’ai poursuivi à la maîtrise en sociologie (U.Laval) avant d’effectuer une propédeutique en psychoéducation (UQTR). J’ai ensuite obtenu mon doctorat en sociologie (U.Laval) et ai fait un postdoctorat en aménagement du territoire (ULaval). Actuellement, je fais un doctorat en science des religions (U.Laval).

Comment vous-êtes-vous orienté vers la sociologie?

Il s’agissait de la discipline qui allait m’être le plus utile pour comprendre sous une multitude d’aspects ce qui m’intéressait. Mon objectif était d’essayer de démystifier l’ambigüité que représentait les arts martiaux dans le monde contemporain et surtout de saisir la cohérence de ce phénomène de société. À l’époque, avant d'arriver en sociologie, j'avais l'impression de tourner en rond dans ma compréhension de cet univers des loisirs sportifs pour deux raisons : j'étais un pratiquant (difficulté à objectiver mon parcours) et la majorité des ouvrages sur le sujet étaient un mélange de folklore et de culture populaire. Après le Cégep, j'ai passé quelques temps à éplucher les programmes universitaires. Le problème c'est qu'ils semblaient tous intéressants parce que chacun révélait un angle particulier de mon sujet. Les programmes de philosophie, d'histoire, de sciences des religions, d'anthropologie, de biologie et d'économie m'intéressaient donc tous, jusqu'à ce que je découvre par mes lectures que la discipline de la sociologie était « le point nodal des sciences sociales ». La révélation ! Je venais d'apprendre que la sociologie s'abreuvait à toutes les sciences nécessaires pour faire la lumière sur un phénomène ou une réalité sociale. À ce moment, mon choix d'étudier en sociologie était devenu une évidence, une impression d'épiphanie! 

Vous enseignez au cégep depuis l’hiver 2020. Comment y êtes-vous parvenu?  

Je sais que je veux enseigner depuis mes 16 ans, soit depuis que j’ai fait mes premières expériences de transmission des connaissances dans le monde du karaté comme assistant du professeur. Toutefois, il y a beaucoup de variables sur lesquelles nous n’avons pas de contrôle pour accéder au monde de l’enseignement. La meilleure opportunité pour moi s’est dessinée durant le contexte de la pandémie. Elle a été ma porte d’entrée au CNDF. Par la suite tout a été plus facile.

En tant qu’enseignant, vous incarnez le rôle d’initiateur à la sociologie.  Comment présentez-vous la discipline à vos étudiants?

Il n’y a pas de recette miracle pour intéresser les étudiants, mais avec les jeunes générations il semble important d’être comédien et bon conteur pour imager les concepts théoriques de la sociologie. Dans un sens, c’est d’essayer de faire entrer les étudiants dans notre imagination sociologique, créer un intérêt assez fort pour leur donner le goût d’être associés à notre manière de voir les choses. Le succès n’est jamais garanti, mais dans mon cas, je pense que ma force est surtout mon sens de la démesure et l’intensité avec laquelle j’aborde les sujets sous l’angle de la sociologie. En bref, j’essaie de leur faire vivre une sociologie qui leur permet de voir la réalité sous un angle privilégié, d’accéder à une vision des choses que peu de gens connaissent.

Observez-vous des temps forts de votre enseignement?

Les temps forts sont souvent les mêmes que pour les médias, soit lorsque je leur donne des exemples de transgression des valeurs sociales. À ce moment, les étudiants expérimentent l’adage suivant : «si tu veux comprendre un système, essaie de le changer ! ».

Remarquez-vous des contraintes et/ou des avantages propres à enseigner au cégep?

Je dirai que la précarité indéterminée est la chose la plus difficile.

Des conseils pour les jeunes chercheurs qui aimeraient enseigner au cégep?

Je dirai qu’il importe de s’entourer de personnes qui nous encouragent et nous poussent à persévérer.

Sur quoi portent vos travaux?

Les arts martiaux et les sports de combat comme phénomène de société (plusieurs volets et thématiques différentes); les représentations de l’emploi de la force dans l’univers policier au Québec;  les effets des industries de la culture sur l’identité corporelle

Avez-vous un projet de recherche en cours?

Oui, il s’agit du projet « Les représentations de l’emploi de la force dans l’univers policier au Québec ». L’objectif est d’étudier l’imaginaire des arts martiaux qui peut dévier de la représentation de l’usage de la force de son cadre légal.

Il y a ensuite les pratiques et les représentations de la magie (comme continuité culturelle des valeurs de la contreculture des années 1960) dans les arts martiaux contemporains. Je dirige aussi 2 ouvrages collectifs en lien avec cette thématique.

Enfin, j’ai un nouveau projet de livre qui s’intitule « Les méchants ont toujours raison !». Il s’agit d’un essai, s’appuyant sur l’analyse d’un corpus de films de la culture populaire, qui montre que les personnages considérés comme « méchants » ou « vilains » sont des personnes qui vivent des problèmes sociaux et auxquelles un certain créneau du cinéma les représente comme de mauvaises personnes parce qu’elles symbolisent le pire des crimes de nos sociétés : l’échec ! Bref, livre sera une illustration des mécanismes sociaux de reproduction et de transmission des valeurs sociales, mais spécifiquement des limites ou des pourtours des valeurs communes par un imaginaire des préjugés, des stéréotypes et des clichés.

De manière générale, relevez-vous certains défis, obstacles et/ou avantages à mener de front l’enseignement au cégep et la recherche?

En tant que nouvel arrivant dans un collège, le défi est certainement de trouver des programmes de subvention qui correspondent à un statut d’enseignant qui n’est pas encore temps plein. C’est presque inexistant ! De là l’intérêt d’être professeur associé dans une université. Cependant, il y a les CCTT, des Centre de recherche collégial qui regorgent de personnes pleines de ressources pour nous donner un coup de main !

Est-ce que votre enseignement influence vos intérêts de recherche?

Oui, les gens que l’on côtoie, les discussions portant sur les rouages de la bureaucratie interne, les expériences des autres enseignants influencent nos stratégies et la manière de se représenter nos projets de recherche sous plusieurs aspects. Dans mon cas, cela n’influence pas mes champs d’intérêts. Pour d’autres cela peut influencer davantage, cela dépend à quel point un chercheur est déjà investi dans ses projets de recherche.

Des conseils aux jeunes chercheurs qui aimeraient enseigner tout en poursuivant leurs recherches ?

Essayer de faire converger les obligations professionnelles avec les intérêts de recherche. Cela aide à rester dans un imaginaire commun dans diverses sphères de vie, cela favorise le travail de réflexion de manière continue.