Bulletin : Avant tout, est-ce que vous pourriez m’expliquer ce qu’est le laboratoire de recherche ?

Marie-Noëlle : Le laboratoire se déroule sur une période de huit mois et vise à offrir aux étudiant-e-s du bac la possibilité de réaliser une recherche de A à Z tout en ayant accès à l’accompagnement d’une équipe d'enseignant-e-s. En septembre dernier, on a eu à choisir parmi une liste de mandats de recherche négociés avec divers organismes. Dans notre cas, on a travaillé sur un questionnement soumis par le Collectif pour un Québec sans pauvreté. Après avoir pris connaissance des besoins et des attentes du Collectif, on a réalisé une revue de littérature dans le but de développer notre problématique tout en tenant compte des contraintes relatives au labo et des études déjà produites sur le sujet. C’est aussi à partir de cette étape qu’on a pu construire une méthodologie, faire un travail de terrain puis analyser les données recueillies pour bien répondre au questionnement de l’organisme.

Alexandra : En même temps, le laboratoire est aussi une aventure assez intensive et très formatrice tant sur le plan personnel que professionnel. On jongle avec la charge du labo, les autres cours, le travail et la vie personnelle. Cette formation est unique à l’Université Laval et on est privilégiées de pouvoir réaliser une recherche complète dans le cadre du bac. Comme nous comptons poursuivre au 2e cycle, cette expérience nous a donné un avant-goût de ce qui nous attend en recherche.

Bulletin : Sur quel sujet avez-vous travaillé ?

Marie-Noëlle : Dans leur quotidien et dans leur pratique en général, les membres du Collectif pour un Québec sans pauvreté ont remarqué que les personnes assistées sociales, qui font partie de la catégorie des personnes en situation de pauvreté, sont l’objet d’un jugement plus négatif que les autres. Les membres du Collectif nous ont mandatées pour évaluer les représentations sociales véhiculées à l’égard de ces deux groupes dans la ville de Québec. L’objectif était de voir si effectivement les représentations à l’égard des personnes en situation d’assistance sociale étaient plus négatives que celles envers les autres personnes en situation de pauvreté. À la suite de la revue de littérature, on en est venues à la question suivante : « Quels sont les stéréotypes et les préjugés que les résident-e-s de l’agglomération de Québec véhiculent à l’égard des personnes en situation de pauvreté et à l’égard des personnes assistées sociales, et comment ceux-ci se distinguent-ils ou non ? »

Alexandra : Pour traiter cette question, on a fait 90 courts entretiens dans trois lieux de l’agglomération de Québec. Donc, on est allées à Cap-Rouge, à L’Ancienne-Lorette et à Limoilou. On arrêtait les gens pour savoir s’ils et elles voulaient participer à notre recherche. Marie a questionné 45 personnes sur leur représentation de l’assistance sociale et j’en ai rencontré 45 autres avec lesquelles j’ai abordé le phénomène de la pauvreté. On avait les mêmes questions, mais on changeait seulement l’objet qui était au centre de celles-ci. On s’intéressait à comment les gens évaluaient l’ampleur de ces deux phénomènes, aux causes qu’ils et elles pensaient susceptibles de mener une personne à vivre l’une de ces deux situations, et aux caractéristiques associées aux personnes qui faisaient partie de ces groupes. On voulait avoir accès aux stéréotypes et aux préjugés qui concernaient ces trois dimensions.

Bulletin : Sur l’ensemble du laboratoire, vous diriez que ça s’est passé comment ?

Marie-Noëlle : Globalement, ça s’est bien passé même si ça a été difficile par moments (rires)… La première session du laboratoire s’est quand même bien déroulée. On devait faire des tâches qu’on avait déjà réalisées dans des exercices d’autres cours du bac, mais dans le cadre du laboratoire, c’était à un tout autre niveau. Même si on avait à mobiliser des compétences qui avaient déjà été sollicitées, on a pris conscience de l’énorme charge de travail qu’impliquait le laboratoire. La charge ne s’est pas allégée à la deuxième session et c’est celle-ci qui a été la plus difficile pour nous. On a beaucoup aimé faire la collecte de données, mais ensuite, leur traitement et leur analyse nous ont vraiment sortis de notre zone de confort. On a procédé par essais et erreurs. Pour être franche, à certains moments, on n’était pas certaines de savoir ce que l’on faisait (rires), mais plus on avançait, plus le projet prenait forme et se concrétisait.

Alexandra : Maintenant que la recherche est terminée et avec le recul, on prend conscience de l’ampleur du travail accompli. Avant de s’inscrire au laboratoire, on avait entendu d’autres étudiant-es dire que c’était un grand défi, mais qu’au final, on serait heureux de l’avoir fait. Ils et elles n’avaient pas tort et c’est aussi ce que l’on va dire aux futurs étudiant-e-s du lab. Après coup, on réalise aussi que le laboratoire, c’est avant tout un espace d’apprentissage. C’est une initiation au domaine de la recherche, mais c’est aussi l’occasion de développer son humilité, d’accepter de se faire reprendre et d’apprendre que l’écriture nécessite énormément de travail. Nous avons collaboré avec le Collectif, Charles, Mélina et Corine (les responsables du laboratoire) et nous ressortons satisfaites de notre expérience et du rapport d’enquête qu’on a produit. On a aussi apprécié de vivre le labo avec les autres étudiant-e-s qui menaient d’autres enquêtes, et de pouvoir partager nos avancées ou non (rires), les hauts comme les bas. Il y avait vraiment une belle solidarité

Bulletin : Ça a été quoi le meilleur et le pire moment de votre laboratoire de recherche ?

Marie-Noëlle : Le meilleur, c’était sans aucun doute le terrain. On a eu la chance de rencontrer 90 personnes qui ont accepté de prendre le temps de répondre à nos questions. Elles ont été très généreuses de leur temps et elles nous ont confié des éléments personnels sur leur vie. On se sent vraiment choyées d’avoir eu accès à tous ces échanges.

Alexandra : Je ne dirais pas qu’il y a eu un pire moment, mais il y a certainement eu des moments plus difficiles. Après avoir réalisé une collecte de données qui nous avait laissé un sentiment plutôt agréable, l’analyse des réponses récoltées s’est avérée plus difficile que ce à quoi on s’attendait. On a eu à réécrire deux chapitres au complet, ce qui a été plutôt déstabilisant. Le défi à cette étape-là a été de réorganiser notre emploi du temps et de coordonner la charge de travail avec celle des autres cours afin de réussir à s’en sortir (rires).

Marie-Noëlle : On l’a dit tout au long du laboratoire, mais pour nous, cette expérience a été comparable aux montagnes russes. On passait d’un sentiment de satisfaction lorsqu’on terminait de rédiger un chapitre à un sentiment de découragement à la réception des commentaires des enseignants qui nous accompagnaient. Même si ça nous minait le moral, avec le recul, on comprend la nécessité de toute cette démarche de critique et de réécriture. Le laboratoire nous a aussi permis de prendre conscience de l’importance des termes qu’on utilise lorsqu’on rédige une recherche qui est commandée par des gens qui ne sont pas sociologues. Dans le cadre du bac, tous nos travaux s’adressent à des sociologues, donc la mobilisation de théories et de concepts sociologiques va de soi pour tout le monde. Mais lorsque, comme dans notre cas, on écrit pour un organisme communautaire, c’est nécessaire d’adapter son écriture.

Alexandra : Je pense que cet apprentissage-là a vraiment été important pour nous. C’est quelque chose qu’on va garder en tête durant toute notre pratique.

Bulletin : Et quelles sont les grandes lignes de ce qu’il faut retenir de votre rapport ? Qu’avez-vous observé dans les propos des personnes que vous avez rencontrées ?

Alexandra : L’analyse a révélé que les répondant-e-s se représentaient les personnes assistées sociales et celles en situation de pauvreté de façon similaire, bien que les premières, et plus particulièrement celles perçues comme étant « responsables » de leur situation, soient la cible de jugements plus négatifs. Dans le contexte actuel à tendance néolibérale, les normes de l’emploi, de l’autonomie financière et de la responsabilité individuelle sont largement intériorisées et valorisées par les Québécois et Québécoises. On explique la construction des stéréotypes et des préjugés par le rapport qui existe entre ceux et celles qui adhèrent et mettent en pratique ces normes et les personnes assistées sociales qui en dévient. Il s’opère une séparation entre le « nous » et le « eux ». Le degré de stigmatisation varie en fonction de la part de responsabilité qui est attribuée à une personne pour sa situation d’assistance sociale. Donc, plus une personne est jugée comme responsable de son sort, plus elle présente les caractéristiques associées au « mauvais pauvre », et plus son recours à l’aide financière publique est perçu comme illégitime.

Marie-Noëlle : Même si en général, les propos des répondant-e-s étaient plus nuancés que ce à quoi on s’attendait, nos données ont démontré qu'ils et elles tendaient à associer davantage les personnes assistées sociales au stéréotype du manque de volonté ou de « lâcheté ». Ce type de propos était assez récurrent dans les discours. Même si on a recueilli des discours similaires sur les personnes en situation de pauvreté, le nombre de mentions était moins grand. Il faut aussi dire que, de manière générale, les répondant-e-s présentaient une compréhension du caractère multifactoriel d’une situation de pauvreté / d’assistance sociale, mais ils et elles avaient tendance à rediriger la responsabilité vers les personnes vivant cette situation. 

Bulletin : Pour conclure, quelles sont les compétences et qualités principales que cette expérience du laboratoire vous a permis de développer ?

Marie-Noëlle : L’humilité sans aucun doute. Être capable de pivoter, de se réajuster constamment, la rigueur aussi, et le fait d'être réaliste. En septembre dernier, on est parties avec de grandes attentes, on était relativement confiantes de ce qui nous attendait. On a vite réalisé que ça allait être plus difficile que prévu. On est heureuses d’avoir fait cette expérience ensemble parce que le labo, c’est aussi devoir collaborer de très près avec un coéquipier ou une coéquipière. On peut dire qu’au cours de la dernière année, on a passé plus de temps ensemble qu’avec nos copains respectifs. Je pense même que les gens du bac s’imaginent qu’on vient en paquet de deux (rires).

Alexandra : Au-delà du laboratoire qui peut prendre un 30 ou 35 heures de notre semaine, on est aussi ensemble parce qu’on a les mêmes cours et parce qu’on fait tous nos autres travaux d’équipe ensemble. Il faut dire aussi qu’on a tout écrit le rapport de recherche à deux, une à côté de l’autre, derrière un même ordi (rires). En termes de compétences il y a le professionnalisme aussi, je pense que c’est le mot qui englobe tout ça. Finalement, on est vraiment heureuses de l’expérience même si on en sort un peu fatiguées (rires). Les vacances tombent à point, mais on est impatientes de faire notre dernière année de bac et de poursuivre à la maîtrise!

Si vous souhaitez en savoir plus au sujet de cette recherche, le rapport est disponible en ligne en cliquant ici.