Professeure émérite au Département de médecine sociale et préventive à la Faculté de médecine de l’Université Laval, Maria De Koninck a fait son baccalauréat en sociologie à l’Université Laval à la fin des années 1960, puis son doctorat entre 1985 et 1988. C’est d’abord le désir de combiner ses intérêts pour les mathématiques et pour la philosophie qui l’a orientée vers la sociologie : « En faisant des statistiques, je pouvais combiner les deux à la fois ». Si, au terme de sa formation, elle avait apprécié certains cours, dont ceux de Fernand Dumont, ainsi que la rencontre de nouvelles manières de penser en travaillant avec d’autres, elle quittait néanmoins le Département avec des sentiments ambigus : « J’avais certainement acquis des connaissances, mais je me demandais ce que j’allais faire avec ces connaissances ». Maria De Koninck était animée par la volonté de faire une différence, et ce n’est que quelques années plus tard qu’elle a compris et constaté qu’elle le pourrait le faire grâce à sa formation en sociologie.

Les années entre le baccalauréat et le doctorat dans un Québec en mutation

À la suite de son baccalauréat, Maria De Koninck a été agente de recherche et de planification socioéconomique à la Régie de l’assurance maladie du Québec, ce qui lui a permis de développer son intérêt pour la santé comme objet de recherche. Parallèlement à cette expérience, elle a été professeure de sciences sociales au Collège Marguerite d’Youville à Ste-Foy, ce qui a été un point tournant dans sa carrière d’intellectuelle : « J’ai monté un cours de sociologie de la famille, dans lequel j’ai abordé la question de la condition féminine, des rapports sociaux de sexe. J’ai alors compris que je pouvais faire cette différence avec la littérature en sociologie et que, par le fait même, j’avais effectivement acquis quelque chose au baccalauréat ». Après trois années à y enseigner, le Collège a fermé ses portes, ce qui a réorienté Maria De Koninck vers le Conseil du statut de la Femme : « C’était une période de défis, on construisait un autre discours. Cette aventure de la politique d’ensemble sur la condition des femmes [Pour les Québécoises : égalité et indépendance] est ma plus belle expérience professionnelle. Nous étions un groupe de jeunes femmes, et nous avons écrit cette politique qui a eu un impact déterminant sur les rapports de sexe au Québec. La passion était là, et j’ai vécu quelque chose d’extraordinaire ». Les impacts de cette politique étaient tangibles : plusieurs lois ont été changées, et les femmes sur le terrain ont pu s’approprier cette politique à laquelle elles avaient contribué. Pour que les effets d’une politique ou d’un rapport soient tangibles, il faut aller rencontrer les acteurs sociaux sur le terrain afin de connaitre leurs manières de concevoir la réalité, puis élaborer des politiques qui sont à leur écoute. De cette manière, Maria De Koninck a connu le « pouvoir de la connaissance » qui exige une rigueur complète : « Avec cette expérience, j’ai été convaincue qu’avec la recherche, je pourrais continuer à influencer des décisions, des pratiques. Mon instrument, c’était la recherche. Je suis alors devenue obsessive avec la rigueur, je devais m’outiller de telle sorte qu’on ne pourrait remettre en cause ce que j’énonçais ».

Ces années au Conseil du statut de la femme ont cultivé chez Maria De Koninck cette envie d’aller plus à fond dans ses recherches qui portaient sur les techniques de reproduction, la santé de la reproduction et les questions éthiques : « La seule voie que j’avais, c’était de faire un doctorat. Je devais faire une recherche sans patron, sans personne ». Si Maria De Koninck avait d’abord envisagé un doctorat en anthropologie, elle s’est rapidement réorientée pour des questions pratiques vers le doctorat en sociologie, où elle s’est intéressée à la normalisation de la pratique de la césarienne : « à travers tout ce cheminement, je suis devenue sociologue. Dans le doctorat, on fait tout un cheminement qui nous permet de s’approprier puis d’utiliser les instruments de la sociologie ».

Une intellectuelle engagée

Après son doctorat, Maria De Koninck a été la première titulaire de la Chaire d’étude sur la condition des femmes pendant quatre années, soit de 1988 à 1992, faisant d’elle une pionnière des recherches féministes au Québec. Elle voulait développer cette capacité d’observer la vie sociale et les rapports sociaux dans le prisme de l’idée que l’inégalité la plus fondamentale est l’inégalité homme-femme. Elle a su regarder une pluralité de situations en portant attention aux inégalités : « Mon regard de sociologue sur les rapports sociaux m’a amené à travailler en développement international, où j’ai beaucoup travaillé sur la question des femmes, de la santé des femmes et de santé de la reproduction ». Maria De Koninck a entre autres mené des projets de « recherche-action » dans plusieurs pays d’Afrique et au Vietnam, où, en plus de faire de la recherche, elle intervenait auprès des populations. Elle en parle comme de sa niche pour la recherche, qui n’est pas une niche trop fermée : «  Je fais partie de la génération des généralistes, et je trouve que ça manque cruellement aujourd’hui. Il faut, en tant que sociologue, prendre le recul nécessaire afin d’avoir une vue d’ensemble du contexte social, des valeurs actuelles, des répercussions d’une action dans le temps. Un regard sociologique peut également aller dans les détails, mais il doit prendre ce recul afin d’élargir notre perspective. C’est bien, mais en même temps ce n’est pas de tout repos ! ».

Une approche multidisciplinaire et multi-institutionnelle

C’est également cette volonté d’élargir nos manières de penser et de concevoir une situation sociale qui l’a motivée à collaborer à un éventail de personnes issues de traditions disciplinaires distinctes : « J’ai beaucoup travaillé sur les inégalités sociales de santé, et c’est impossible de faire ça dans son coin. C’est bien rare qu’on puisse regarder un fait social seul : quand on est dans le social, on est de facto dans le multidisciplinaire. On peut certainement avancer certaines idées, mais on doit les confronter à d’autres personnes qui adoptent d’autres perspectives que la sienne ». Selon elle, là réside l’avantage d’être rattachée à une autre Faculté que celle dans laquelle nous avons été formés : « l’avantage de travailler dans un domaine avec d’autres professionnels qui ont une autre vision est de ne pas continuellement être confrontés à des débats idéologiques. On se confronte non pas à différentes idées au sein d’une même perspective, mais à différentes disciplines qui sous-tendent des perspectives distinctes ». Se confronter à d’autres individus qui ont des approches autres et des expertises qui nous sont étrangères élargit ses horizons de compréhension. C’est également pourquoi il faudrait, selon elle, privilégier une approche multi-institutionnelle.

Au fil de sa carrière, Maria De Koninck a tenté de favoriser la rencontre entre milieux disciplinaires et milieux institutionnels. En contribuant à mettre en place le cours Médecin, médecine et société (9 crédits sur 4 sessions), elle a montré la pertinence d’amener la perspective des sciences sociales dans la formation des médecins : « Les jeunes devaient absolument avoir une formation un peu plus axée sur le psychosocial et le social ». Elle a contribué à implanter une structure de cours permettant d’humaniser la profession médicale en initiant les étudiant(e)s aux questions éthiques, aux inégalités sociales et à la relation médecin-patient.

La noblesse des sciences sociales

Si Maria De Koninck a principalement œuvré à la Faculté de médecine, elle rappelle non sans engouement ses racines de sociologue : « Je suis fière d’être sociologue et d’être formée en sciences sociales. Il y a une certaine noblesse dans les différentes professions qui découlent d’une formation en sciences sociales, et j’aimerais que les étudiant(e)s en sciences sociales ressentent cette noblesse tout en prenant consciences de ses exigences ». Pour elle, la noblesse des sciences sociales et des sociologues découle du cheminement intellectuel long qui est nécessaire pour se former en tant que penseur ou penseuse : « En tant que sociologues, on a un rôle à jouer dans le développement des connaissances et la compréhension de ce qu’on vit comme humain en rapport les uns avec les autres. Et pour moi, tout ce qui se rapproche de la compréhension de l’être humain, c’est quelque chose de très noble ».