Auteur du livre Critique et émancipation. Sur les traces d’Adorno, Jan Spurk considère que la critique possède un rôle primordial en tant que condition de dépassement de la société. Selon ce dernier, c’est la critique qui permettrait l’établissement d’un « rapport conscient et raisonnable au monde » (Spurk, 2022). L’intitulé de la communication, La fin de la critique? pose alors une question fondamentale : est-ce que la fin de la critique impliquerait la « fin du projet de société raisonnable » (Spurk, 2022)? Envisager la fin de la critique nécessite alors de s’interroger sur les fondements des critiques contemporaines, ainsi que d’approfondir l’espace accordé à l’expérience de la souffrance à l’intérieur de celles-ci. Car, selon Jan Spurk, la critique serait intrinsèquement liée à cette expérience de la souffrance, soit à « l’impossibilité de s’auto-réaliser et de vivre le bonheur » (Spurk, 2022). La souffrance permettrait de rappeler au sujet que la société est non-identique, qu’il est impossible de « vivre selon les normes du capitalisme populaire » (Spurk, 2020, p. 9). En ce sens, la constitution d’un sujet souffrant serait intimement liée au développement de la critique, elle seule permettant le dépassement de la société actuelle. Il serait nécessaire de rompre (et de critiquer!) une conception du bonheur en tant que « négation de la souffrance » (Spurk, 2022), pour s’inspirer plutôt de Horkheimer et Adorno afin d’appréhender le bonheur comme un résultat qui « se développe sur la base de la souffrance passée » (Spurk, 2022). La négation de cette souffrance impliquerait, ultimement, une perte de la substance propre à la critique, et en cela, ne donnerait la chance aux individus de s’inscrire dans la société que dans sa (re)production.

La critique ne serait donc pas une « pathologie sociale » (Spurk, 2020, p. 14), mais serait bien « constitutivement liée à la société » (Spurk, 2020, p. 14). Celle-ci permettrait le « dépassement des manques et des souffrances dont les sujets font l’expérience » (Spurk, 2020, p. 15). Toutefois, la fin de la critique revêt un double sens ici, car elle ne signifie pas simplement la fin de toute critique, mais également la fin de la critique permettant le dépassement de l’ordre établi. Ce second défi se manifeste lorsque l’auteur précise que les critiques contemporaines possédant une ampleur significative semblent, depuis les dernières décennies, évacuer la critique anticapitaliste. Cette dilution de la critique impliquerait inévitablement une remise en question de son caractère subversif. Les critiques publiques doivent, pour permettre le dépassement de la société actuelle, non seulement critiquer les souffrances, mais également comprendre les raisons derrière le monde social. Cette compréhension est conçue sous trois axes : 1) comprendre ce que sont les sujets; 2) comprendre pourquoi sont-ils devenus ce qu’ils sont; 3) envisager ce qu’ils pourraient être dans l’avenir. Autrement, les critiques seraient condamnées à engendrer des tendances de repli sur des petites structures communautaires sans possibilité de stabiliser les transformations souhaitées.  

Jan Spurk conclura en soulignant que c’est seulement en recréant des expériences qu’une critique substantielle pourra être formulée. Selon ce dernier, ce sont les expériences collectives de la souffrance qui permettent de rompre avec la solitude. En d’autres mots, ce sont les mobilisations qui « stimulent également l’autonomie subjective, c’est-à-dire la capacité à donner à la réalité un autre sens que le sens établi » (Spurk, 2020, p. 6). Par son analyse dialectique riche en réflexion, Jan Spurk nous invite finalement à dépasser le cadre social en place et les souffrances qui y sont associées pour réfléchir aux avenirs possibles.

 

SPURK, Jan. 2020. Critique et émancipation. Sur les traces d’Adorno, France: Les Éditions du Croquant, 175 pp.

SPURK, Jan. 2022. « La fin de la critique? », Conférence publique présentée dans le cadre du cours Théories sociologiques générales (SOC-7123), Québec : Université Laval.