«On naît de moins en moins francophone, mais on le devient de plus en plus». C’est autour de cette phrase chère au professeur Richard Marcoux qu’a tournée son interview avec Radio France internationale (RFI), le 16 novembre 2022. Répondant aux questions de Laurent Correau, le directeur de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (OSDEF) a relayé le constat de ses pairs pour qui « l’avenir de la francophonie se joue en Afrique, et se joue dans la complémentarité entre le français et les langues africaines ». En effet, à en croire Richard Marcoux, si plus de 90% de la population francophone était autrefois dans l’hémisphère nord, il s’avère qu’en 2022, près de 50% des 321 millions de personnes francophones se trouvent sur le continent africain. Et selon des études récentes, cela résulte d’une transformation qui remonte aux années 1960-1970 où on a observé une croissance démographique importante sur le continent africain, mais également des investissements importants dans le domaine de l’éducation en langue française. Autrement dit, si la progression de la langue française se poursuit, c’est parce qu’elle est portée non seulement par la croissance démographique, mais aussi par le maintien et l’augmentation considérable des taux de scolarisation primaire et secondaire dans plusieurs pays, souligne Richard Marcoux.

Ainsi donc, la phrase « On naît de moins en moins francophone, mais on le devient de plus en plus » signifie que nombreuses sont les personnes qui se francisent à travers l’institution scolaire, tout en gardant leur langue maternelle. Il est vrai que dans la plupart des pays d’Afrique francophone, il y a des contextes plurilingues extrêmement complexes qui font en sorte qu’il est difficile qu’émerge une seule langue, une langue qui serait partagée par l’ensemble des populations. Curieusement, si le français, comme langue maternelle, y est peut-être de moins en moins important, force est de constater que depuis les années 1980-1990, le français occupe un espace de convergence pour les gens parlant différentes langues, note Richard Marcoux. 

Par ailleurs, le directeur de l’OSDEF est revenu sur les études qui montrent que dans les pays d’Afrique francophone, le français est de plus en plus partagé à la maison. Et pour lui, cette cohabitation du français avec les langues africaines et cette répartition des usages suivant les lieux et les situations oblige à d’autres stratégies dans l’enseignement du français. Il a donné l’exemple du programme ÉLAN (École et langue nationale en Afrique) qui forme les élèves, qui les alphabétise dans leur langue maternelle d’abord et avant tout, en intégrant tranquillement la langue française, de façon progressive. Évidemment, comme il y a des fragilités importantes liées à l’apprentissage du français, Richard Marcoux pense que l’un des grands défis actuels de la francophonie s’avère la protection et le renforcement des systèmes éducatifs, étant donné que « dans les années 1980-1990, on a beaucoup tablé sur ce qu’on a appelé la massification de l’éducation sans se préoccuper de la qualité. Il faut maintenant mettre de l’avant un certain nombre de mesures pour s’assurer que les élèves qui passent à travers le système scolaire puissent en sortir avec des compétences vraiment [solides] », rapporte-t-il.

Enfin, répondant à la question de savoir si les courants anti-français étaient susceptibles de ralentir la progression de la langue française au sein des populations africaines, le professeur Richard Marcoux fait remarquer que « les enjeux qu’on observe pour l’instant sont liés en quelque sorte à des problèmes structurels, économiques, à des problèmes de crise politique ». Il ne croit pas en conséquence qu’il y ait un lien entre ce courant anti-français et l’essor de la langue française. Il dit avoir plutôt l’impression que le français est devenu une langue africaine.