Portrait d'étudiant - Jean-Philippe Beauregard
Prochainement un panel sur le testing de CV se tiendra au HEC Montréal. Organisé avec la collaboration du Réseau interuniversitaire québécois pour l’équité, la diversité et l’inclusion (RIQEDI), la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et l’Ordre des CRHA, ce panel est inspiré des travaux Jean-Philippe Beauregard, candidat au doctorat en sociologie à l’Université Laval. Le Bulletin de sociologie est allé rencontrer Jean-Philippe afin d’en savoir plus sur son parcours.
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MD : Qui est Jean-Philippe Beauregard ?
JP B. : Quelqu’un qui a repris les études après plusieurs années d’arrêt, en se rendant compte que ça l’intéressait toujours d’être étudiant. Je tenais à finir ma maîtrise, parce que je n’aime pas laisser les choses incomplètes. Ceci m’a permis de creuser des questions qui m’intéressaient et venaient chercher des valeurs d’égalité, notamment dans le cas de la recherche d’emploi.
MD : Que faisais-tu avant de reprendre tes études ?
JP B. : Quand je suis arrivé à Québec en 2008, je venais de terminer ma première année de maîtrise à l’UQAM. Je pensais continuer et quelques mois plus tard, mon premier enfant est né. J’ai également eu une tâche d’enseignement au Cégep Limoilou, une opportunité totalement inattendue qui m’a conduit à mettre de côté ma maîtrise pour me consacrer au travail de professeur de sociologie au Cegep. J’ai occupé cet emploi à temps plein pendant cinq années avant de retourner aux études.
MD : Comment en es-tu venu à travailler sur le testing ?
JP B. : Alors que j’étais inscrit en maîtrise avec stage, j’ai approché un professeur qui semblait être le plus en lien avec mes intérêts, Daniel Mercure qui a accepté de me superviser. J’ai fait mon premier stage à la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ) et ai travaillé sur la question des conditions socioéconomiques dans lesquelles les enseignants, membres du Syndicat, s’apprêtent à prendre leur retraite. Par la suite, j’ai pris connaissance d’un rapport de recherche sur le testing par la Commission des droits de la personne et ai remis sur la table la possibilité de faire un doctorat. Je dois dire qu’il y avait une condition assez importante, qui était d’obtenir une bourse doctorale pour subvenir aux besoins de ma famille. J’ai donc commencé à temps partiel le doctorat et une fois l’obtention de la bourse CRSH l’année suivante, j’ai pu prendre congé de mon emploi pour me consacrer entièrement à mes études.
MD : Peux-tu nous en dire davantage sur le projet ?
JP B. : Un premier rapport de la Commission portait sur le testing à Montréal et n’avait pas été fait à Québec. Or, dans un contexte marqué par les enjeux de pénurie de main-d’œuvre, une étude semblable me paraissait pertinente. J’ai donc cherché à vérifier si à Québec il y avait ce qu’on appelle la discrimination à l’embauche. La plupart des gens autour de moi ne voyaient pas la pertinence d’une telle recherche, car la réponse semblait évidente, mais aucune recherche ne permettait de préciser l’ampleur de la discrimination. Je me suis donc inspiré de l’étude de la Commission, mais ai été un peu plus loin, en intégrant notamment la question du genre, afin de recueillir le maximum de données me permettant de dresser le portrait des personnes discriminées. J’ai dans un premier temps testé mes outils en considérant uniquement l’origine maghrébine. Ceci a constitué le prétexte de ma recherche au doctorat et m’a permis de me lancer dans une collecte de données à plus grande échelle, en y ajoutant deux autres origines, latino-américaine et africaine. Il s’agit généralement des principales minorités que l’on dit « visibles » à Statistique Canada. J’ai pu démontrer qu’effectivement il y avait de la discrimination à l’embauche, mais ce n’était pas nécessairement des candidats d’origine maghrébine qui en subissaient le plus. Au contraire ils semblaient plutôt dans la moyenne (pour la candidate, voire un peu plus élevé pour le candidat). Le profil le plus discriminé se rapprochait davantage de l’homme noir dit d’origine africaine […].
MD : Finalement de tes recherches naît un colloque le 6 avril prochain…
Wow ! C’est génial comment ça s’est passé! Ça fait au moins une douzaine de présentations que je fais dans des colloques depuis environ deux ans et demi, puis dans l’une de mes présentations j’ai été approché par une personne intéressée par mes travaux et désireuse d’organiser un évènement en lien avec ça. Il s’avère que cette personne du nom de Bibiana Pulido, cofondatrice du Réseau interuniversitaire québécois pour l’équité, la diversité et l’inclusion (RIQEDI) m’a proposé cette opportunité et j’ai répondu oui, car ça me semblait vraiment intéressant. Elle voulait que je fasse une présentation et qu’il y ait un panel, donc une discussion autour des solutions que l’on peut apporter, notamment avec la Commission de Droits de la personne puis l’ordre des CRHA.
MD : Quelles sont tes attentes du colloque ?
JP B : J’espère qu’il y aura de quoi de positif qui en ressortira. Ce que j’ai bien hâte de voir c’est de savoir ce qui est fait par l’ordre des CRHA. Parce qu’il faut garder en tête que ma recherche ne concerne pas quelque chose qui est apparu en l’espace de quelques mois. On sait que c’est une réalité qui existe, qu’il y a des mesures, des politiques justement pour l’accès à l’égalité à l’emploi… et le panel est surtout là pour sensibiliser les étudiant-e-s en Relations Industrielles, appelé-e-s à être de futur-e-s conseiller-e-s en ressources humaines. L’idée de l’organisation est vraiment de faire un constat du problème, mais surtout de se poser les bonnes questions sur ce qu’on peut faire et ce qui existe aujourd’hui comme ressources, autant par l’ordre des CRHA que la Commission des droits de la personne. Connaître les recherches et les outils à disposition pour essayer de faire autrement, essayer de contribuer à diminuer l’ampleur de la discrimination à l’embauche.
MD : Il y a un intérêt croissant pour tes travaux qui transcende le monde de la recherche. Comment expliquer cela ?
JP B : Je pense que le plus grand facteur est la thématique même de ma recherche. C’est ce qui a interpellé la recherchiste à Radio-Canada qui a été accrochée par le titre de ma présentation ACFAS. Ma recherche soulevait l’intérêt de creuser une question académique qui n’avait pas été faite, pas mesurée. Et puis sur le plan social, il y avait une pertinence, compte tenu des enjeux contemporains. Cela fait des années que je suis à Québec et on entend parler des difficultés qu’on a chez les employeurs à trouver des employés. À ma grande surprise, mes recherches ont révélé que, que ce soit à Montréal ou à Québec on observe la même ampleur du problème. Compte tenu du contexte social et culturel, je m’attendais à trouver quelque chose de plus prononcé à Québec. Comme quoi, les amalgames…
La recherche pour moi est quelque chose qui vient avant tout rejoindre mes valeurs. La question des inégalités et surtout les situations de discrimination m’interpellaient. Je trouve ça très frustrant pour des gens qui ont toutes les compétences pour accéder à l’emploi, surtout dans une société où le mérite est supposé « rapporter ». Alors oui, il y a le sentiment d’utilité, de faire avancer la recherche d’un point de vue scientifique, en explorant des dimensions vierges, via le terrain à Québec notamment, mais aussi une utilité sociale ; j’aime le fait que ma recherche ne soit pas uniquement considérée dans les quatre murs de l’université ou encore dans les colloques académiques, mais qu’au contraire elle rejoigne des enjeux concrets. J’aime l’idée que ça ne soit pas juste du « pelletage de nuages » comme on entend si souvent des sciences sociales. Et voir qu’on n’en discute pas seulement dans les médias, mais que cela conduit certains à faire leur propre recherche, ici même à Québec, montre qu’on s’intéresse réellement à cette question. Je suis heureux de voir que le sujet et la méthode ont interpellé un public diversifié auprès duquel je ne pensais pas avoir autant d’influence. Mes travaux ont généré d’autres recherches, ont été abordés autrement afin de rejoindre les gens du terrain, les organismes communautaires ou encore les institutions publiques. Ça me rassure quant au fait que j’ai bien fait de m’intéresser à cette question-là.
MD : Ta soutenance de thèse c’est pour bientôt. Que gardes-tu comme souvenir de ton parcours d’étudiant-chercheur à l’Université Laval ?
JP B : J’ai eu des modèles ici et là, qui m’ont donné des idées de comment faire avancer ma recherche, comment faire des présentations dans des colloques, comment faire des demandes, comment travailler ma problématique… autant avec des professeurs, que des gens que j’ai pu rencontrer au cours de mon parcours. Je pense avoir créé, au fil de mes avancés, un réseau qui, à un moment donné, m’a apporté et m’a permis de progresser.
J’imagine aussi que garder son directeur de maîtrise au doctorat montre que la collaboration a été un succès… Et effectivement, parmi les influences, je pense notamment à Daniel, car il a été question d’une collaboration basée sur la confiance. C’est vraiment le terme qui décrit notre collaboration, surtout au doctorat. Il avait confiance en moi, il savait que j’allais mener à terme le projet, il n’a pas eu de doute, et cela a été vraiment encourageant. Il était là quand j’avais besoin de lui pour une lettre, des conseils et un accompagnement de mes travaux. Il a été là quand il fallait définir les étapes à venir. On n’a pas eu énormément de rencontres, mais des rencontres efficaces. Son pragmatisme a fait que j’ai pu apprendre de lui. Dès le début il m’a préparé à la suite, à rester alerte aux possibilités qui pourraient s’offrir à moi. Il a été un bon mentor pour naviguer dans les études supérieures en sociologie, et ce du début à la fin. Il a été une personne-ressource très importante, qui a toujours été là et qui n’a pas manqué à l’appel au besoin, tout en me laissant la liberté de mener le projet que je voulais.
MD : Quels sont tes projets pour la suite ?
JP B : Hormis le fait que j’aimerais continuer dans l’enseignement, j’aimerais poursuivre mes recherches, dans le cadre d’un postdoctorat, si je parviens à obtenir du financement. L’idée serait de pouvoir faire des entrevues avec les employeurs pour comprendre un peu mieux comment s’inscrit la discrimination, consciemment ou pas. Il s’agirait d’un projet qui a été très peu fait ailleurs… J’aimerais rejoindre les employeurs et leur exposer mes travaux, car ils sont très peu nombreux à participer aux colloques finalement. Continuer dans la recherche et l’enseignement, idéalement. Si je peux combiner les deux, ça me ferait plaisir.