Bulletin de sociologie : Qui êtes-vous, Bénédicte Taillefait ?

Bénédicte Taillefait : Je suis doctorante en sociologie à l’Université Laval, depuis 2019, sous la direction d’Élisabeth Mercier. Je travaille sur les enjeux de genre, classe sociale et sexualité au sein de la culture. Je suis également co-coordonnatrice de l’Université féministe d’été 2023 et j’enrichis mon parcours universitaire par un engagement féministe de terrain, en tant que militante et intervenante en violences sexuelles et conjugales. Mes champs de recherche s’étendent aux Études féministes, à la sociologie du genre, aux études culturelles et de la sexualité.

B.S. : Pouvez-vous nous parler brièvement de vos études antérieures ainsi que de votre projet de thèse ?

B.T. : Je suis titulaire d’une maîtrise en sociologie du genre et d’une maîtrise en Lettres modernes de l’Université Lumière Lyon II, en France. J’ai analysé, dans mes recherches antérieures, les représentations genrées de la littérature érotique du 18ème siècle. J’explore à présent les usages de la lecture érotique par les femmes dans le cadre de mon projet doctoral qui s’intitule : « Comprendre les usages de la lecture érotique par les femmes : tensions et négociations de l’agentivité sexuelle ». 

B.S. : Un passage des Lettres à la sociologie du genre… Pouvez-vous nous dire comment vous avez effectué cette transition ?

B.T. : Il n’y a pas de transition à proprement parler, parce que le fil conducteur de mes recherches, ce sont justement les études du genre, les études féministes. Comme je travaillais pour ma première maîtrise sur les enjeux de genre à travers les personnages principaux dans la littérature du dix-huitième siècle, cela m’a permis aussi de m’intéresser à la littérature d’un point de vue sociologique et du coup j’ai découvert la sociologie comme ça. C’est ça… je pense que le fil conducteur, ce sont les études féministes. En effet, dans ma deuxième maîtrise, celle en sociologie, j’ai travaillé sur des questions liées à la violence sexuelle. Je m’intéressais à voir comment les discours institutionnels à propos de l’agression sexuelle et parfois les discours des victimes elles-mêmes venaient invalider le non-consentement des femmes agressées. C’est-à-dire que certains discours venaient un peu dire que finalement, les femmes ont été agressées parce qu’elles étaient consentantes. Ce sont des choses que j’ai pu observer. Et surtout de la part de l’Institution dont certains discours avaient tendance à nier le non-consentement des victimes.

B.S. : Peut-on en savoir un peu plus au sujet de vos recherches actuelles ?

B.T. : Comme l’indique le titre de mon projet, mes recherches actuelles portent sur la littérature érotique. Je cherche à mieux comprendre les usages de la lecture érotique, notamment les expériences et le parcours des lectrices d’écrits à caractère érotique (de tous types confondus). La visée générale de la recherche est donc de comprendre ces usages de la lecture érotique à partir de la parole des lectrices, mais aussi au regard des rapports de pouvoir qui les traversent. Plus spécifiquement, je souhaite explorer comment les lectrices mobilisent les lectures érotiques ou à tendance érotique comme des moyens de se réapproprier des espaces d’expression de leurs désirs et comme des moyens de négocier l’agentivité, en particulier sexuelle.

B.S. : Agentivité sexuelle… c’est-à-dire ?

B.T. : Le concept d’agentivité sexuelle renvoie à la capacité d’être actrice de sa propre sexualité et permet de concevoir le rôle actif des femmes sur le plan tant de la réception culturelle que de la sexualité, tout en prenant en compte les contraintes qui s’exercent sur elles.

B.S. : Et plus concrètement dans votre projet, comment articulez-vous cette notion ?

B.T. : Il me faut peut-être clarifier un tout petit peu les objectifs de ma recherche. En fait, je poursuis un triple objectif : primo, documenter le parcours et l’expérience de lecture des lectrices d’ouvrages érotiques en prenant en compte les différentes inégalités sociales ; secundo, examiner les effets des rapports de pouvoir sur leurs pratiques et préférences de lecture ; et tertio, explorer la réception de ces écrits notamment le rôle que ces lectures jouent dans les différentes sphères de la vie des lectrices (identités, relations sociales, sexualité etc.). C’est dans ce sens que j’interroge des lectrices sur leur pratique de lecture érotique pour essayer de voir si, à travers cette pratique culturelle-là, – et moi, je postule aussi une pratique sexuelle – les femmes ne seraient pas en train de négocier des espaces de respiration et des espaces de sexualité en propre. En fait, il faut reconnaitre qu’il y a des contraintes au sein de la sexualité qui pèsent encore sur les femmes.

B.S. : Alors comment comptez-vous procéder pour avoir accès à la parole de ces lectrices-là ?

B.T. : Comme je le disais, j’ai commencé mon doctorat en 2019. J’avais prévu faire le terrain de recherche dans ma région natale, en France. Et je l’ai effectivement fait, l’an dernier, entre mai et juillet. Puisque j’emprunte une démarche qualitative, j’ai donc réalisé des entretiens. J’ai fait à peu près une vingtaine d’entrevues et je vais peut-être compléter une fois que j’aurai analysé un peu plus en profondeur les données que je détiens. Il s’agira de voir s’il y a des enjeux qu’il serait intéressant de creuser encore plus avec d’autres enquêtes. C’est ça… je suis presqu’à la fin. Il me reste la retranscription et l’analyse. Et puis la rédaction.

B.S. : Est-ce vous avez éprouvé quelques difficultés dans le terrain d’enquête ? Ou rien du tout ? Comment avez-vous effectué le recrutement de vos participantes ?

B.T. : Pour le recrutement, je m’attendais à devoir faire beaucoup de relance et je craignais de ne pas trouver facilement les participantes. Fort heureusement, j’avais tous mes entretiens en deux semaines. Ça a été assez facile et du coup je trouve que c’est aussi intéressant par rapport à mon sujet. C’est-à-dire qu’il y a finalement beaucoup de femmes qui lisent la littérature érotique, qui font de la lecture érotique, et puis qui souhaitent en parler. Ce qui est déjà intéressant de ce point de vue-là. Alors comment j’ai procédé ? J’ai fait paraître un article dans la presse locale, là où j’ai grandi, en fait. L’engouement autour de cet article m’a apporté à peu près la moitié de mon échantillon. J’ai aussi envoyé des appels à recrutement sur des groupes Facebook un peu localisés comme salle de lecture. Ce qui m’intéressait spécifiquement, c’était d’avoir la voix des femmes qu’on n’entend rarement à la fois sur les pratiques sexuelles et sur les pratiques culturelles. Je voulais donc avoir aussi accès à la parole des femmes qui vivent dans des milieux plutôt ruraux. J’ai vraiment un échantillon quand même assez diversifié, même s’il y a des profils qui peuvent se recouper.

B.S. : Justement au sujet de votre appel à recrutement, est-ce que vous suggérez les moyens que vous avez utilisés à d’autres étudiants et étudiantes ?

B.T. : Je pense que ça dépend d’un sujet à un autre. Mais c’est sûr que, oui, le journaliste m’a aidé à vulgariser mon sujet. Je pense donc que parler de son sujet dans les journaux ou sur les réseaux sociaux peut être une porte d’entrée pour faire connaître ses intérêts de recherche et éventuellement trouver des répondants. Cependant, il faut tout le temps avoir en tête les enjeux éthiques et de regroupement qu’il y a derrière. Mais oui, ça peut être un moyen, en tout cas, de rejoindre un certain un certain type de répondants. L’important c’est de réfléchir à quel échantillon on veut accéder et quel profil on essaie de trouver et pour quelle raison. Et à partir de ce moment-là, parler publiquement de son sujet peut être pertinent ou ne pas l’être. Voilà ce que je pense.

B.S. : Merci beaucoup. Une avant-dernière question : est-ce que vous faites autre chose, à part la rédaction de votre thèse ?

B.T. : Oui. Comme je n’ai pas de bourse récurrente, à part quelques petites bourses ponctuelles, je travaille à côté. Avec Rose Moisan-Paquet, qui est aussi au département, nous avons été chargées de donner le cours SOC-4153 Genre et Société pour la saison dernière. Pour cette année, ce cours va être donné par Élisabeth. On a donc fait une charge de cours à deux. Toutes les deux, nous sommes aussi coordonnatrices de l’Université féministe d’été. Et puis qu’est-ce que je fais d’autre ? Des petits contrats de recherche à l’université. Et je travaille aussi à mi-temps comme Intervenante en violence conjugale dans une maison d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale. Tout cela demande un petit peu d’investissement et de travail. Voilà donc ! j’ai des semaines bien occupées.

B.S. : En tout cas… J’imagine que ce n’est pas du tout facile de rédiger une thèse tout en travaillant pour vivre ?

B.T. : Concrètement c’est un peu difficile de gérer son temps pour laisser de l’espace, vraiment beaucoup d’espace à la rédaction. Personnellement, avec beaucoup de choses en même temps, des obligations qui s’ajoutent avant, comme mon petit boulot pour avoir de quoi manger en fait, j’ai quelquefois l’impression que mon doctorat passe en dernier dans les priorités, les rendus et les impératifs. Et pourtant, j’aurai bien voulu avoir l’esprit complètement occupé à la rédaction… Mais hélas ! Bref, je pense que le vrai enjeu, c’est la difficulté à bien gérer son emploi du temps.

B.S. : Eh oui ! Alors, par rapport au dépôt de votre thèse, est-ce que vous comptez finir cette année ?

B.T. : Selon le calendrier qu’on s’est fixé avec Élisabeth, et aussi selon le calendrier du département, normalement le dépôt est prévu pour l’hiver ou l’été 2024. Donc l’année prochaine, si tout va bien.

B.S. : D’accord ! Bon courage ! Et que comptez-vous faire après la soutenance de votre thèse ? Vous avez certainement des projets pour l’avenir…

B.T. : Absolument. J’aimerais bien trouver un postdoctorat. Ça fait partie de mes objectifs d’après thèse. Et je souhaiterais faire ce postdoctorat plutôt en Europe pour me rapprocher de ma famille. En fait, ça fait 6 ans maintenant que je suis au Québec. En effet, entre ma maîtrise et la reprise des études au doctorat, j’ai travaillé comme intervenante dans un Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), à Trois-Rivières. J’ai travaillé 3 ans là-bas, entre 2017 et 2019. Je voudrais donc faire un post-doc en Europe pour retrouver un peu l’Europe… Toutefois, je demeure ouverte à toute autre opportunité, peu importe l’endroit.

B.S. :  Le Québec ne vous ennuie pas tout de même…

B.T. : Non, ça va vraiment. Seulement c’est un peu difficile en hiver.

B.S. : Ah oui ! C’est quelque chose l’hiver… Merci beaucoup Bénédicte, d’avoir répondu à nos questions. Bon courage pour la suite de vos recherches.

B.T. : Merci.