Rébecca Chouinard, étudiante au doctorat en sociologie, travaille sur les impacts des transformations organisationnelles sur les professionnels et le personnel d'encadrement qui oeuvrent dans le réseau de la santé et des services sociaux, sous la direction de Nancy Côté. Depuis sa reprise d’études en 2018, elle mène de front thèse, emploi et parentalité. Rébecca a généreusement accepté d’aborder avec nous son parcours, les embûches qui le parsèment et ses stratégies pour les surmonter. 

Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?  

Je suis en troisième année de doctorat en sociologie, mais également maman de deux belles petites filles de quatre ans et de cinq ans et demi. Je les élève avec mon conjoint, qui a un emploi particulier puisqu’il travaille à l’étranger six mois par an (par sessions de six semaines).  

Je n’ai pas un parcours linéaire du tout ! Après avoir terminé mon baccalauréat en service social, j’ai entamé une maîtrise en service social également. Or, au même moment, j’ai été promue gestionnaire du magasin de sport dans lequel je travaillais durant mon bac et j’ai dû mettre les études de côté.  Lorsque j’ai repris la maîtrise, quelques années plus tard, il m’a de nouveau fallu travailler à côté, cette fois-ci en tant qu’éducatrice en garderie. Là encore, j’ai été rapidement promue au poste de responsable d’un établissement de service de garde. Cerise sur le gâteau, je suis tombée enceinte de ma première fille. J’ai finalement fini mon mémoire de maîtrise durant le congé maternité. La deuxième est née peu après et je suis restée à la maison m’occuper d’elles pendant 4 ans. Bref, je n’ai pas un parcours linéaire, et ça prouve que tout est possible !  

 Qu’est-ce qui a motivé ton retour aux études ? 

Ma maîtrise portait sur les intervenant.es sociaux.les qui travaillent dans les centres jeunesse, dans le domaine judiciaire. Je m’intéressais aux pressions spécifiques qu’ils et elles vivaient au travail et aux stratégies déployées pour pouvoir s’en affranchir dans un contexte organisationnel difficile. Alors que je finissais de rédiger mon mémoire, je me suis rendu compte que cette analyse pouvait être élargie à d’autres contextes organisationnels. L’idée m’a ensuite travaillée, mais je la repoussais. Reprendre des études me semblait particulièrement compliqué du fait de ma situation personnelle. C’est mon conjoint qui m’a finalement encouragée à explorer cette intuition au doctorat. Au début, pourtant, je me suis vraiment demandé si j’étais à ma place. Après tout, je n’avais pas étudié depuis presque six ans. Objectivement, une personne regardant ma vie de l’extérieur se dira sans doute « pourquoi fait-elle un doctorat ? Elle en a déjà assez sur les épaules ! » J’entends ces remarques très régulièrement. Or, le doctorat, c’est mon projet à moi, mon projet comme femme, pour ma carrière, pour m’émanciper. C’est aussi un exemple que je donne à mes filles, ce qui m’importe vraiment. Et avec mon conjoint, on est une équipe qui fait tout pour que ça fonctionne, c’est-à-dire pour poursuivre tous les deux nos aspirations tout en étant parents. Bien sûr, je me dis souvent que ce serait bien plus simple si je n’avais pas d’ambition au-delà de mon rôle de mère. Si le doctorat constitue objectivement une contrainte, c’est également mon moment de respiration, d’évasion.  

Pourrais-tu m’en dire plus sur ta thèse de doctorat ?  

Ma thèse, dirigée par Nancy Côté, s’insère à l’intérieur d’un projet de recherche qui est déjà financé. L’avantage, c’est que je bénéficie du terrain existant pour collecter mes propres données. Elle porte sur les impacts des transformations organisationnelles dans le réseau de la santé, à l’intérieur de groupes de médecine de famille. Je m’intéresse, d’une part, aux stratégies déployées par les travailleur.ses de la santé, des services sociaux et des cadres intermédiaires pour négocier les changements organisationnels, et d’autre part, à la manière dont ces stratégies ont une incidence sur la capacité collective du cadre intermédiaire et son équipe pour implanter ces changements. Il y a une vraie continuité avec mon mémoire de maîtrise. Par ailleurs, je travaille sur d’autres secteurs du projet en tant qu’auxiliaire de recherche. Malheureusement, la professionnelle de recherche attitrée au projet nous a quitté à l’hiver 2020, alors que commençait la collecte de donnée. Je me suis retrouvée à coordonner cette première phase, dont la collecte des données s’est conclue en décembre dernier.  

L’hiver 2020 a également marqué le début de la pandémie au Québec. Comment est-ce que cette situation t’a affectée ?  

Effectivement, tout est un peu arrivé en même temps… Mon conjoint était parti le 6 mars, la pandémie a été déclarée le 13 et le 20 mars, notre maison était officiellement vendue. Heureusement, il a été rapatrié rapidement, mais j’ai dû mener de front la recherche d’une nouvelle maison, la fin des entrevues par téléphone et la préparation de l’examen rétrospectif que j’espérais passer, le tout, avec les filles à la maison. Lorsqu’il est reparti, fin avril, j’ai tout mis sur pause jusqu’au 1er juillet. J’étais confinée, seule avec les enfants, avec un déménagement à mettre en œuvre : impossible de travailler. Heureusement, l’équipe de recherche et Nancy ont eu une compréhension extraordinaire. Ensuite, j’ai mis les bouchées doubles pour rattraper le retard accumulé. Je m’apprête à déposer sous peu mon examen de synthèse. La première vague de la pandémie a demandé beaucoup d’adaptation.  Pour être honnête, c’est encore le cas parce que les rotations de mon conjoint sont plus longues à cause des obligations de quarantaine. La situation est meilleure, mais je suis parfois vraiment tannée d’être à la maison. Je sors tout de même deux fois par jour, lorsque j’emmène et récupère mes filles à la garderie et à l’école. Ça, ce sont mes sorties. Heureusement qu’elles peuvent aller à l’école, je peux avoir un horaire de travail régulier. Parfois, il me faut aussi travailler le soir, même si je n’en ai pas toujours le goût …La situation est moins, disons, pire qu’au printemps, mais il y a tout de même des sources nouvelles de stress, avec notamment les nouveaux variants et mon conjoint qui est à risque de tomber malade dans le pays où il travaille. Sinon, on s’adapte bien. Une fois par semaine, je reçois l’aide de ma mère qui est isolée le reste du temps, ce qui est une bouffée d’air. 

Quelles stratégies as-tu mis en place pour t’adapter à ta situation de parent, seule six mois par an ? 

Tout d’abord, j’essaye de suivre une routine pour avancer efficacement dans mon travail. Ensuite, j’accepte le chaos. J’admets que le linge ne soit pas plié, que le ménage ne soit pas toujours fait, qu’il y ait de la vaisselle sur le comptoir… Parce que sinon, à peine franchie la porte après avoir amené mes filles à leurs activités de la journée, je m’attaquerais à la montagne de tâches domestiques et mon travail resterait non touché. Le soir et la fin de semaine, j’écoule une partie de ces tâches, mais j’accepte que ça ne soit pas fait, ou imparfait. C’est une stratégie de lâcher-prise pour être capable de me concentrer sur l’essentiel : mes enfants, puis travailler. Pour m’aérer la tête, je marche ou cours tous les jours avec mon chien. Que ce soit au début ou à la fin de ma journée de travail, cette activité est toujours inscrite dans mon emploi du temps. Enfin, sauf exception, je prends du temps pour moi le soir. 

Quels sont tes projets à venir ? 

Je suis impliquée dans un groupe de travail faisant partie de l’Association internationale des sociologues de langue française, qui traite des injustices épistémiques. Je me suis impliquée dans l’organisation d’un colloque prévu en Tunisie l’an passé, mais qui a été reporté à l’été 2021. Pour le moment, ma participation à ce colloque est incertaine puisque l’Université Laval ne permet aux étudiants d’effectuer des séjours à l’étranger. En tant que membre du comité étudiant de VITAM – Centre de recherche en santé durable, je participe au développement des stratégies et d’activités pour favoriser le développement de carrière des étudiant.es membres. Dans le contexte actuel de la pandémie, je co-organise un cercle de discussion pour rompre l’isolement des étudiant.es du centre et discuter des contraintes et difficultés que nous vivons actuellement. Ces initiatives sont vraiment importantes, à mon avis, parce qu’il en existe peu, bien que beaucoup d’étudiant.es souffrent de solitude. Je suis également co-directrice d’un numéro d’Aspect Sociologique sur les Enjeux démographiques. Le processus suit son cours. J’en profite d’ailleurs pour annoncer que l’article La fabrication sous-tension de rapports judiciaires : le cas de l’évaluation socio-pénal des mineurs tiré de mon mémoire de maîtrise vient d’être publié, ce qui est valorisant. Quelquefois, je me demande pourquoi je fais tout ça, et un tel événement me rappelle que ça vaut la peine de continuer.  

À plus long terme, j’aimerais avoir l’opportunité d'enseigner et de continuer à faire de la recherche, idéalement dans le centre de recherche dans lequel je m’implique actuellement. Mais je suis très ouverte à toute possibilité !