Bulletin de sociologie : Professeur Jean-François Laniel, pouvez-vous nous parler brièvement de votre cursus académique?

Jean-François Laniel : J’ai réalisé mes études de sociologie au baccalauréat (2003-2007) ainsi qu’à la maîtrise (2008-2010) à l’Université d’Ottawa ; ma thèse de doctorat en sociologie (2010-2018) à l’Université du Québec à Montréal ; puis mes recherches postdoctorales à la University of Michigan (2018-2019).

B.S. : Êtes-vous à votre première session d’enseignement à l’Université Laval?

J.-F. L : En fait, j’enseigne à l’Université Laval depuis janvier 2019. Mais j’étais alors professeur à la Faculté de théologie et des sciences religieuses. Je suis depuis le mois de mai 2022 professeur au Département de sociologie. L’automne dernier, j’ai donné mon premier cours officiel de sociologie, celui d’Introduction à la sociologie. J’enseigne cet hiver le cours de baccalauréat Sociographie de la société québécoise (XXe-XXIe siècles), ainsi que le séminaire de maîtrise et de doctorat Sociologie des modernités multiples.

B.S. : Pourquoi avez-vous décidé de rejoindre le département de sociologie? Quels sont les avantages que vous attribuez à ce choix?

J.-F. L. : J’étais très heureux à la Faculté de théologie et des sciences religieuses de l’Université Laval, où j’enseignais essentiellement en sociologie religieuse. Je souhaitais toutefois déployer toutes les cordes à mon arc, en enseignant, en effectuant des recherches et en encadrant des étudiants, certes en sociologie religieuse, mais également en sociologie politique, en sociologie québécoise, et plus largement en sociologie générale. Je crois pouvoir contribuer davantage à la vie universitaire en touchant à tous ces champs que j’aime à croiser.

B.S. : Qu’en est-il de vos projets antérieurs sur l’étude de la religion au Québec?

J.-F. L. : J’ai travaillé sur plusieurs projets de recherche, au premier chef celui sur le catholicisme culturel des Québécois. Par-devers la question de la foi, de l’observance des dogmes et la pratique religieuse régulière, quel est le rapport des Québécois au catholicisme? Comment ce dernier influence-t-il encore les croyances et les valeurs des Québécois? Je persiste à croire qu’il y a là un vaste chantier qu’il nous faut encore creuser, tant nous savons finalement peu de choses sur l’imprégnation culturelle du catholicisme, et ce jusque dans des domaines fort éloignés de la croyance religieuse au sens strict, notamment la place à donner à la religion dans l’espace public, ou le religieux « socialement acceptable ». J’ai d’ailleurs réfléchi à cette dernière question dans une série de publications sur la construction québécoise de la laïcité.

B.S. : Quels sont vos champs de recherche privilégiés pour le moment?

J.-F. L. : Je continue et continuerai sans doute toujours à réfléchir au catholicisme québécois, notamment son imprégnation culturelle. Je prépare d’ailleurs un chantier de recherche dont l’objectif est d’établir une cartographie du catholicisme québécois, cartographie que je dirais à la fois concentrique (le vécu religieux au plus près et au plus loin de l’Église) et associative (le tissu social québécois quadrillé par les associations et institutions catholiques). Je m’intéresse également de plus en plus à trois champs de recherche : les mutations du nationalisme québécois, longtemps travaillé par la conscience catholique de ses intellectuels, mais qui migre désormais vers le libéralisme et le républicanisme comme matrice intellectuelle; les mutations des horizons éthiques des projets sociétaux québécois, là encore longtemps travaillées par le catholicisme, mais qui accordent une place nouvelle et croissante à l’écologie; et plus fondamentalement, ou plus théoriquement, au paradigme des modernités multiples, popularisé par le sociologue israélien Shmuel N. Eisenstadt, soit la diversité des conceptions et processus de la modernité, à comprendre en contexte, a fortiori dans leurs relations et débats avec les traditions locales et nationales, notamment religieuses. Je dirais que dans ces trois cas, c’est la variable politico-religieuse qui m’intéresse, soit l’articulation chaque fois contingente et sociohistorique d’un certain rapport structurant et évolutif au monde. Et dans le cas du Québec, c’est son caractère de « petite société » que je cherche à comprendre, en le comparant à d’autres sociétés aux propriétés semblables.

B.S. : Avez-vous des subventions? Si oui, pour quels projets plus précisément?

J.-F. L. : La subvention qui m’occupe le plus en ce moment est celle sur le paradigme des modernités multiples. Je cherche à en comprendre la genèse, la réception et l’application, afin d’en écrire le premier livre synthétique, critique et programmatique. Je crois que le Québec est un terreau fertile pour ce type de théorisation : notre voisinage avec le monde anglo-saxon nous rappelle au quotidien que la définition de l’universel, notamment du moderne, est relative, socialement construite, et que c’est cette construction qui, comme sociologues, devrait nous intéresser, dans ses diverses déclinaisons (étatisation, démocratisation, sécularisation, etc.).

B.S. : Avez-vous des publications en vue? Si oui, sur quoi portent-elles?

J.-F. L. : Je ferai paraître sous peu deux articles, l’un sur ce que j’ai appelé la « thanatologie » du catholicisme québécois, l’autre sur les tendances récentes du nationalisme québécois. Dans le premier, je recense et discute de manière critique ce qui me semble devenu le lot des études du catholicisme d’ici, essentiellement une analyse de son déclin passé, à venir ou advenu. Sans contester ce déclin, je m’interroge sur ce que laissent en plan ces thèses. Après tout, une majorité de Québécois continue à se dire catholique, presque contre vents et marées : qui sont-ils? Dans le second, et vous verrez le lien avec mes champs d’intérêt actuels, je me penche sur la renationalisation du champ politique québécois, observable depuis quelques années, ainsi que sa républicanisation et son écologisation. J’essaie de décrire ces tendances, tantôt convergentes, tantôt en tension. Je termine en outre l’édition d’un ouvrage collectif ainsi qu’un numéro de revue sur les « petites nations », le premier proposant une comparaison de travaux québécois et japonais sur le sujet, le second faisant un bilan prospectif de ce champ de recherche québécois.

B.S. : Comment envisagez-vous l’avenir à court terme au département de sociologie?

J.-F. L. : En un mot : radieux! Je suis ravi et honoré d’être au Département de sociologie de l’Université Laval, que je dirais, avec une once de chauvinisme, l’un des plus prestigieux au Québec, certainement celui dont la tradition d’excellence est la plus longue et établie.

B.S. : Avez-vous un mot de la fin?

J.-F. L. : Il sera sans conteste pour les étudiants et étudiantes ! J’ai été impressionné cette session par leur intelligence et leur ouverture d’esprit. Il me tarde d’en rencontrer le plus grand nombre, d’échanger avec eux, et de nouer des relations de travail fécondes et stimulantes. Après tout, un professeur d’université, c’est un peu un étudiant qui n’a jamais voulu partir!

B.S. : Professeur Jean-François Laniel, merci!

J.-F. L. : Merci à vous aussi!