MD : Pour commencer, j’aimerais savoir ce qui vous a fait choisir une AER en 2 tranches [A-18 ; puis E-19 et A-19], plutôt que pour une année entière.

SL : L’explication est simple. Normalement, aux sessions d’hiver, je donne le cours SOC-4100/SOC-7100 Méthodes qualitatives, qui est obligatoire dans le programme du bacc. en sociologie, et un cours de mise à niveau pour les étudiants de 2e et 3e cycles. Comme nous sommes une petite unité, il aurait été difficile de me remplacer. J’ai donc proposé de revenir à H-19 pour donner ce cours.

 

MD : Quel était votre projet de recherche pour l’AER ?

SL : J’avais d’abord deux articles en chantier. Ces dernières années, j’ai commencé à récupérer des éditoriaux du Globe and Mail qui parlent du Québec au cours de la période allant de la mort de Maurice Duplessis, le 7 septembre 1959, et jusqu’à l’élection du Parti Québécois, le 15 novembre 1976. Le but est d’évaluer quelle appréciation fait ce journal des années de transformation de la société québécoise connues sous le nom de « Révolution tranquille » et un peu au-delà. Mais ce corpus est vraiment très imposant (plus de 2500 éditoriaux) et ne peut être analysé d’un seul tenant. J’ai donc commencé à l’aborder, mais par la bande. Dès les premiers éditoriaux du corpus, j’ai découvert que le général de Gaulle était venu en 1960 et que le Globe encensait littéralement le président français. J’ai donc décidé d’éclairer le fameux cri « Vive le Québec libre ! » du général, qui a tant fait rager les Canadiens en 1967, à la lumière d’autres éditoriaux beaucoup plus indulgents, voire complaisants, à l’égard du Général. Cet article a été soumis à l’A-19 à la Journal of Canadian Studies/Revue d’études canadiennes.

L’autre article, soumis à l’A-18, sera publié dans un ouvrage collectif faisant suite au symposium du Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ), avec l’appui de l’Association internationale des études québécoises intitulé Le Québec et ses autrui significatifs. Dans cet article, j’inverse la question thématique du colloque et me demande si le Québec peut être considéré comme un autrui significatif du Canada dans le discours public anglo-canadien. Au début des années 1960, le Québec intensifie ses demandes de reconnaissance auprès des instances fédérales et, en partie pour y répondre, le gouvernement libéral de Lester B. Pearson met sur pied la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. J’ai donc retenu les éditoriaux contenant le mot-clé Biculturalism afin de voir si l’équipe éditoriale du Globe and Mail souscrivait à l’idée du Canada conçu comme une union des deux nations canadienne-française et canadienne-anglaise. Il devrait paraître en 2020 dans l’ouvrage collectif sous la direction de J.-Y. Thériault et J.-F. Laniel.

Mais la plus grosse portion de mon AER a été consacrée à la lecture d’ouvrages sur la Sociologie des religions, car je vais donner un nouveau séminaire à l’A-20 là-dessus. Je me suis donné un programme de lecture suffisamment vaste et éclectique pour occuper tout mon temps (de lecture de chevet et de transport en commun) jusqu’à bien au-delà de la retraite !

Je n’ai pas encore monté le syllabus. Plusieurs formes de structuration de la matière sont possibles et n’ai pas encore choisi celle de l’édition A-20. Idéalement, j’aimerais traiter du « moment axial », des différents types de religion, des divers aspects qui les constituent (rites et pratiques ; croyances et dogmes ; spécialistes et lieux saints ; etc.) et des interprétations de telle ou telle religion particulière (Girard sur le christianisme ; Römer sur le judaïsme ; Ouardi sur l’islam ; Dumont sur l’hindouisme ; etc.), en plus des principales théories et des concepts pour analyser le phénomène religieux. Le séminaire ne se limitera pas à ce qu’on appelle communément les grandes religions (judaïsme ; christianisme ; islam ; bouddhisme ; hindouisme), il inclura aussi des religions dites minoritaires, des mouvements religieux et des phénomènes contemporains comme le syncrétisme ou le bricolage idéologique, et des phénomènes comme la conversion, le pèlerinage, le fondamentalisme, etc.

Dans tous les cas, l’accent sera mis sur les outils conceptuels pour appréhender et analyser les phénomènes religieux et à cet égard, l’œuvre de Max Weber est absolument incontournable par son ampleur et son actualité. Il est en effet le seul sociologue à avoir forgé autant de concepts indispensables (charisme ; hiérocratie ; stand; virtuose ; extase ; ascèse ; mystique ; communalisation ; sociation ; etc.), à avoir écrit sur autant de religions différentes (protestantisme ; judaïsme ; islam, confucianisme et taoïsme ; hindouisme et bouddhisme) et à avoir amorcé des comparaisons systématiques entre elles. Plus d’une séance consacrée à Weber seront donc nécessaires pour se faire une idée de ce en quoi consiste la Sociologie des religions.