Pour une amélioration des conditions de travail dans les résidences privées pour aînés

23 avril 2020

JEAN BERNIER, Professeur émérite associé Département des relations industrielles Université Laval

POINT DE VUE / Dans sa chronique de lundi, Brigitte Breton, faisait état avec raison de la nécessité de bonifier non seulement les salaires, mais l’ensemble des conditions de travail des personnes qui œuvrent dans les résidences privées pour aînés.

En effet, ces résidences ont une difficulté de recrutement, mais aussi un problème de rétention et de stabilité de leur personnel dont les conditions de travail sont nettement inférieures à celles qui prévalent dans les CHSLD publics. Le secteur des résidences privées a ceci de particulier : les salariés sont laissés à eux-mêmes à la merci de leurs employeurs sans pouvoir de négociation de leurs conditions de travail. En effet, la multiplicité de ces établissements de tailles diverses, répartis sur un grand territoire de même que la mobilité du personnel, composé en majorité de femmes et dont une partie est à temps partiel, rendent difficile, voire impossible pour ses travailleurs et travailleuses l’accès à la syndicalisation et l’exercice de leurs droits collectifs.

Or, le Québec dispose à cette fin d’un instrument juridique particulièrement adapté à ce type de situation : c’est la Loi des décrets de convention collective en vertu de laquelle le gouvernement s’approprie de résultat d’une entente survenue entre un ou des employeurs d’un secteur donné et une organisation syndicale pour rendre, par voie de décret, ces conditions de travail applicables dans l’ensemble des entreprises du secteur. Ce régime permet non seulement d’améliorer les conditions salariales de ces travailleurs et travailleuses, mais aussi de permettre à ces salariés de bénéficier des certains avantages sociaux qui ne leur seraient pas accessibles autrement tels qu’un régime complémentaire d’assurance maladie, un RÉÉR collectif, une banque de congés de maladie. 

De plus, le rôle de surveillance et de contrôle de l’application des conditions de travail ainsi définies est confié à un comité paritaire composé d’un nombre égal de représentants des employeurs et des syndicats signataires de l’entente qui a donné naissance au décret. L’expérience vécue dans plusieurs autres secteurs d’activité a démontré que ce mode de contrôle par des enquêteurs embauchés par les comités paritaires s’avère un moyen efficace d’assurer le respect des conditions de travail. On reconnaît également que le régime des décrets est un bon moyen de contribuer à la stabilisation de la main-d’œuvre ce dont les résidences privées ont bien besoin et de favoriser le dialogue social.

D’ailleurs, cette question du recours à ce régime d’extension des conditions de travail dans ce secteur n’est pas nouvelle. En effet, à titre d’exemple, à son Congrès de 2016, la  FTQ a adopté un plan d’action exigeant notamment que le gouvernement «facilite l’accès à la Loi sur les décrets de convention collective afin que davantage de travailleurs et de travailleuses, particulièrement dans les milieux de travail précaires et des petits établissements (ex. : résidences pour personnes âgées, dépanneurs, etc.), puissent bénéficier de meilleures conditions de travail.» Le caractère particulièrement pertinent de ce régime pour la situation des résidences privées pour personnes âgées a été évoqué avec insistance et à maintes reprises lors d’un colloque entièrement consacré à l’avenir du régime des décrets tenu à l’Université McGill dans le cadre du congrès de l’Acfas en mai 2017. Lors de ce colloque, une intervenante de la CSN faisait observer, comme d’autres, que l’adoption de décrets dans de nombreux secteurs, notamment celui des résidences privées pour aînés, pourrait contribuer à l’égalité économique des femmes.

Malgré les réticences voire l’opposition, exprimées par certains groupes de petites et moyennes entreprises, il apparaît que le gouvernement doit aller rapidement de l’avant et être attentif aux souhaits formulés par les organisations intéressées et ne pas hésiter à recourir à cet instrument propre au Québec en Amérique du Nord pour bonifier les conditions de travail de ces travailleurs et assurer aux employeurs une plus grande stabilité de la main-d’œuvre. 

Or, on apprend que le 20 avril, le Syndicat québécois des employées et employés de service (SQEES-298 FTQ) et l’Union des employées et employés de service (UES 800 FTQ), qui représentent déjà des salariés dans certains de ces établissements, ont soumis au ministre du Travail une demande formelle en vue se prévaloir de ce régime pour que soient ainsi définies par décret les conditions de travail dans les centres d’hébergement privés pour aînés dans l’ensemble du Québec. Reste à voir quelle suite le ministre donnera à cette requête.

On sait par ailleurs que ce régime fort ancien a été l’objet depuis quelques années de critiques eu égard à des problèmes de transparence et de gouvernance chez certains comités paritaires. À cet égard, il importe de rappeler que le précédent gouvernement avait déposé à l’Assemblée nationale en mai 2015 le projet de loi 53 qui entendait remédier à ces difficultés lequel avait fait l’objet d’un remarquable consensus chez les partenaires sociaux au sein du Conseil consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM), consensus qui s’est manifesté durant la Commission parlementaire d’octobre 2016. 

Malheureusement, ce projet de loi est mort au feuilleton au terme de la 41e législature, près de deux ans après son dépôt. Il faut souhaiter que l’actuel gouvernement n’hésite pas à prendre la balle au bond, à ressusciter ce projet de loi et surtout qu’il n’attende pas que cette étape soit franchie pour saisir, grâce à cet instrument juridique propre au Québec, l’occasion d’améliorer de façon efficace et ordonnée les conditions de travail de ces «anges gardiens».

Le Soleil, 23 avril 2020, 4h